Il y a 50 ans, les Rolling Stones gagnaient leur indépendance avec "Exile On Main St."

Le 12 mai 1972, les Stones publiaient l’un de leurs chefs-d'œuvre, “Exile On Main St.” Réalisé en toute liberté en Provence, il est le fruit d’une émancipation douloureuse, mais pourtant salvatrice.
  • Il fallait un nouveau départ. Et celui-ci s’est fait en France. Pour les Rolling Stones, la fin des années 60 ont eu l'allure de montagnes russes. En pleine gloire, et dans une forme créative intense (ils enchaînent tout de même “Beggars Banquet”, “Let it Bleed” et “Sticky Fingers”), les Anglais vivent également coup sur coup la mort de Brian Jones et la tragédie d’Altamont. La période faste de la contre-culture laisse place à une époque plus morose. Il leur faut retrouver leur liberté. En 1971, ils rompent leurs contrats avec l’escroc Allen Klein (qui avait également sévi auprès des Beatles). Quant à leur manager historique, Andrew Loog Oldham, il est en faillite et ne travaille plus avec eux. Reste un conflit avec le fisc anglais, résolu par une solution radicale : un exil dans le Sud de la France. D’où ce “Exile On Main Street”, paru en 1972, fruit de ces frustrations, de ces douleurs et de cette émancipation.

    En réalité, le disque était déjà entamé en Angleterre; certains titres étant issus des sessions de “Sticky Fingers” (Shine A Light et Sweet Virginia, notamment). Mais dans cette situation nouvelle, le groupe est enfin libre de faire ce qu’il veut. Pour Keith Richards, cela veut notamment dire consommer énormément de drogues. Le guitariste est alors au sommet de sa consommation d’héroïne, qui l’empêche parfois d’assister aux sessions. Celles-ci ont pourtant lieu directement dans sa villa Nellcôte, près de Nice (faute de studio d’enregistrement suffisamment équipé dans les environs).

    Si l’enregistrement est laborieux, on est pourtant loin de l’ambiance de débauche tant fantasmée. Au-delà de la drogue, ce sont surtout des contraintes pratiques qui rallongent le processus. Sans contraintes, le groupe a un rythme très libre, enregistrant toujours de nuit. De même, le studio, très bricolé, pose de nombreux soucis, particulièrement à Mick Jagger. Ce dernier doit également régulièrement s’absenter pour retrouver femme et enfant à Paris, menant Richards à assurer une large part de la composition du disque. Plus largement, les sessions réunissant le groupe en entier se font plutôt rares, chacun étant souvent occupé ailleurs. Bref, cette liberté nouvelle entraîne une certaine désorganisation, qui se ressent dans le côté patchwork du résultat final. Comme dans tout double album, il y a du déchet.

    Pourtant, il en ressort malgré tout un certain esprit de cohésion. Y compris avec les musiciens invités, comme Bobby Keys et son orchestre de cuivres, ou le percussionniste et producteur Jimmy Miller. Tous sont embarqués dans la même aventure, et vont dans la même direction. À savoir quelque chose de plus dur, de plus féroce. Sans contrainte commerciale, les Stones semblent vouloir aller au bout de leur démarche. En résulte une sorte d’album somme, couvrant toutes leurs influences américaines : blues, toujours (avec notamment une reprise de Robert Johnson, Stop Breaking Down), mais aussi country (Sweet Virginia), soul (Loving Cup) ou même gospel (I Just Want To See His Face). Chaque fois dans ce que ces styles ont de plus brut, voire décadent. Peut-être doit-on cette moiteur à la chaleur provençale...

    Mais surtout, quoi qu’ils fassent, cela sonne comme du Stones pur jus. Sur “Exile…”, même les ballades comme Shine A Light ont un côté dur. Comme toujours, Jagger n’y parle que de sexe, d’une manière plus ou moins directe. Mais sa sensualité y a toujours un aspect menaçant. Une démarche qui, si elle a d’abord déplu aux critiques, a fini par placer l’album comme l’un des plus grands sommets de leur discographie. Mais ça, pour les fans, c'est déjà un autre débat.

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