Il y a 20 ans, Johnny Cash sortait son dernier chef d'oeuvre : "American IV"

La date du 5 novembre 2002 ne vous dit peut-être rien, mais c'est ce jour-là que fut publié le 67ième album de Johnny Cash, le dernier publié de son vivant. Un sommet aux allures d'adieu, sur lequel l'homme en noir signait avec Rick Rubin un testament qu'on relit, 20 ans plus tard, toujours avec des larmes aux yeux.
  • Le premier a écrit ses premières chansons en 1955, a croisé le fer avec Jerry Lee Lewis et Elvis, connu la télé en noir et blanc et signé un tube (I Walk the Line) qui peu à peu va l'enfermer dans la boite du chanteur country. 

    Le second possède une grosse barbe, s'est fait connaître dans le milieu pour son coup de maître sur Walk This Way, en réunissant Aerosmith et Run DMC, mais on lui doit aussi le label Def Jam, une partie de la naissance du hip-hop et l'album "Blood Sugar Sex Magik" des Red Hot. 

    Autant vous dire que le jour de la rencontre entre Johnny Cash et Rick Rubin, quelque part en 1993, c'était pas gagné. Comme le grand public, le producteur garde un souvenir mitigé du vieillard (déjà 61 ans à ce moment-là). Walk the line, bien sûr, l'image de pionnier du rock'n'roll, le célèbre cliché du doigt d'honneur à la prison de Folsom; mais tout cela sonne un peu daté, ringard. C'est le concert de Cash avec sa femme June Carter, en 1992 au Madison Square Garden, qui va pourtant lui donner le déclic : n'y aurait-il pas matière dans cet homme brisé par la vie, l'alcool et les excès, pour une série d'enregistrements bruts où le vieux reprendrait des standards de son choix, sans pression commerciale ? C'est la base d'un deal inattendu. Le premier volum des "American Recordings" est finalement publié en 1994, et c'est non seulement le début d'une relation profonde avec Rubin, mais aussi la fin d'un cercle maudit pour celui dont on ne sait plus trop s'il a co-inventé le rock ou juste chanté au Muppet Show.

    Devenu, jusque-là, une sorte de Michel Drucker country qu'on fait jouer dans les maisons de retraite, Johnny Cash le sait : il a tout à gagner à réinventer son répertoire, voire à piocher chez les plus jeunes pour faire sienne les chansons des autres. Déjà vraie sur les trois volumes précédents, la promesse l'est encore plus sur "American IV". Au bout du bout, malade, faisant des allers-retours réguliers entre l'hôpital et le studio, Cash sait sa fin proche et c'est ce qui donne à l'album ce parfum d'éternité.

    Comble de la série, c'est un titre original de Johnny qui ouvre le disque; c'est The Man comes around, un titre venu au musicien pendant son sommeil lors d'un rêve mêlant la reine Elisabeth II et l'annonce de l'Apocalypse, et qui aboutit à un chef d'oeuvre où la voix fatiguée du patron s'imprègne littéralement dans l'oreille de l'auditeur. Et ce n'est que le début. 

    Peut-être parce qu'il a passé sa vie à la brûler par les deux bouts, le Cash de 2002 est usé, rincé, diabétique au point de ne presque plus pouvoir marcher. Et les chansons sélectionnées au tracklisting illustrent parfaitement cette fin du tunnel, ce besoin de rédemption. On pense évidemment au Personal Jesus de Depeche Mode (retravaillé pour l'occasion par John Frusciante des Red Hot) et au Hurt de Nine Inch Nails, où Cash réussit cet exploit de se les accaparer comme un vampire fatigué, au point qu'on pourrait presque croire que c'est lui qui les a écrites. En découvrant la reprise de son Hurt par Cash, Trent Reznor confiera en 2004 : "Cette chanson n'est plus à moi. En l'écoutant pour la première fois, j'avais l'impression de regarder ma copine baiser quelqu'un d'autre". Difficile de trouver meilleure image, d'autant plus que le clip, tourné dans les anciens bureaux de Cash, vaut aussi son paquet de Kleenex.

    La rédemption pour Cash, ce sera un succès critique inespéré à ce stade de sa carrière, mais aussi commercial : "American IV" sera son premier disque d'or en 30 ans, avec 500 000 copies vendues. Que faire après cela ? Mourir. Ce que Cash fera en septembre 2003, quatre mois après le décès de sa femme June, mais pas sans avoir mis en boite 60 chansons de plus pour Rubin, et qui seront publiées à titre post-mortem sur deux autres volumes, mais sans jamais parvenir à retrouver la grâce de cet enregistrement magistral qui se concluait par un We'll meet again qui se passe de commentaire. 

    Vingt ans plus tard, on espère encore le revoir. Et en attendant, restent ces 15 chansons moins noires que l'homme qui les chantait.

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