Voici Hanatarash, le groupe japonais le plus dangereux au monde

Mené par son abracadabrantesque leader Yamantaka Eye et accompagné de son compère Mitsuru Tabata, Hanatarash a bien vite construit sa légende de groupe le « plus dangereux de tous les temps ». Pilier de la noise music japonaise, un genre qu’elle a popularisé, la paire a passé le plus clair de son temps à tout détruire : le contenu de leurs disques tout comme les salles de concert dans lesquelles elle se produisait.
  • Au sein de cette industrie musicale qui se lisse et s’uniformise avec le temps, il est parfois bon de rappeler que certains groupes ou artistes ont un jour tout envoyé valser. Parmi eux, nous vous racontions le combat pour une liberté pure et dure des Rockbitch, ou encore l’histoire de GG Allin, ce rockeur qui voulait se suicider sur scène. Nous complétons aujourd’hui notre série avec un troisième chapitre. Celui de Hanatarash, une formation noise music née de l’union entre Yamantaka Eye alias Eye, et Mitsuru Tabata. Deux artistes singuliers qui se sont rencontrés en 1984 lorsqu’ils bossaient sur la tournée japonaise des maîtres de la musique industrielle made in Germany, Einstürzende Neubauten, que l’on peut traduire par : « Les nouveaux immeubles qui s’effondrent ».

    Si les Occidentaux ont fait parler d’eux en mai 1980, lorsque le toit de la Salle des Congrès de Berlin a lâché en pleine conférence, leurs homologues se sont retrouvés sur toutes les lèvres après un live fiévreux au Superloft de Tokyo en 1985. Pour ce concert, Eye va débarquer en chevauchant un bulldozer. Avec cette monture de fer, il détruit littéralement la salle de concert qui accueille son groupe. Au milieu des décombres, il aurait ensuite allumé un cocktail Molotov pour le balancer. Le spectacle se serait arrêté net, sans que le chanteur ne puisse passer à l’acte. Coût de l’affaire : 600 000 yens, soit 6000 dollars. Et ça, ce n’est qu’une des nombreuses anecdotes sur leurs improbables prestations.

    Outre cette histoire qui s’est logiquement imposée en point final à leur carrière scénique — le groupe va être dans la foulée interdit de live par les autorités japonaises — la légende d’Hanatarash ne s’est pas faite en un jour. On aurait pu vous raconter la fois où Yamantaka Eye a coupé un chat mort en deux à la machette avant de l’envoyer dans le public. Celle pendant laquelle il s’est de nouveau servi de ses spectateurs en leur jetant au visage des bouts de verre et autres débris d’instruments-machines explosés. Sans oublier le concert qui aurait pu le rendre cul-de-jatte. Ce soir-là, il manquait de peu de se trancher la jambe avec une scie électrique. Mais à côté de cet aspect sensationnaliste, il existe une vraie démarche artistique.

    Pour la comprendre, reprenons notre filiation avec le groupe allemand. Dans sa quête d’ouverture du spectre des musiques dites originales, Einstürzende Neubauten s’est spécialisé dans ce genre appelé « industriel ». Un style qui ne se construit pas (uniquement) à partir d’instruments classiques, mais plutôt avec tout ce qui peut faire du bruit. Dans leur cas, une panoplie de scies, circulaires ou à métaux, de perceuses et autres marteaux-piqueurs. Sensible à cette façon de faire hors des conventions, Hanatarash s’engouffre dans la brèche.

    Au gré d’un triptyque de disques portant leur nom, réalisés entre 1985 et 1992, les Japonais ont affirmé leur conception de cette musique industrielle. Plus encore, ils ont lancé un nouveau courant, le « japanoise ». Unique en son genre, il fut disséqué en long et en large, puis théorisé, notamment dans cet ouvrage. Même s’ils sont très difficiles d’accès, ces albums constituent un terreau d’inspiration fertile que Yamantaka Eye va cultiver pour la suite. Elle se fera sans Hanatarash. Le « morveux bruyant » a grandi et s’appelle maintenant Boredoms. Désormais, il ne fera plus de bêtises sur scène. En ce qui concerne le bruit, il faudra repasser. 

    Avec ce nouveau groupe expérimental lorgnant fort sur le rock, baptisé ainsi en l’hommage des punks anglais de Buzzcocks, le Japonais entame une véritable seconde carrière. En s’éloignant de son pays, les bonnes nouvelles s’enchaînent. Signature chez le mastodonte Warner Music Japan, concerts en pagaille avec parfois Nirvana qui se pointe, tête d’affiche d’importants festivals européens comme Lollapalooza, où ils recevront le très courtisé prix du « Golden Mic Awards ». Même si la formation semble rentrer dans le rang de l’industrie, il n’en est rien. Eye est un authentique fanatique d’expériences sonores, et forcément, dans ses productions, ça se ressent. 

    Pendant les décennies 2000 et 2010, l’hyperactif artiste réalise une quarantaine de disques sous différents alias. Il apparaît également sur une dizaine de projets de collègues aussi inspirés que lui. Le fil rouge que l’on peut tisser entre ses coups d’éclat, c’est qu’ils sont tous plus singuliers les uns que les autres. En guise d’exemple, prenons celui que l'émission Tracks a pu filmer dans l’un de ses reportages. Le 7 juillet 2007, Yamantaka Eye invente la performance « Boredrums ». Pour cette date symbolique du 07/07/2007, il invite 77 batteurs à se produire sur scène avec lui. Vous avez saisi l’idée ?

    Après plus de 30 ans d’activité, Eye est bien loin d’avoir tiré sa révérence. Depuis 2022, il continue son œuvre de défricheur musical sur les ondes d’une radio anglaise. Réputée pour son éclectisme, son goût à s’aventurer au plus profond de l’underground et des styles qu’il explore, NTS semble être la maison parfaite pour le fondateur de Hanatarash. À la programmation d’une émission mensuelle baptisée « E Y E », l’énigmatique artiste continue de distiller aux auditeurs une musique qui lui ressemble : insaisissable, insoumise aux règles et radicalement créative.

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