L'histoire de Rockbitch, le groupe de rock féministe le plus hardcore du monde

Active à la fin du siècle dernier, la communauté des Rockbitch aura choqué les mœurs. En prônant une liberté pure et simple qui se matérialisait par une libération sexuelle totale, le groupe aura aussi eu le temps de sortir trois albums et de faire le tour du monde en concerts avant de disparaître, bien aidé par la censure et... Interpol.
  • « On veut évangéliser les gens. On veut leur montrer comment on vit. On veut leur dire : “c’est la meilleure façon de vivre, vous devriez essayer”. Et on exprime ça à travers notre musique. » Voici comment Babe, l’une des membres du collectif Rockbitch, présentait son groupe au début d’un documentaire. Ça, c’était le comment. Concernant le pourquoi maintenant : ces artistes très particulières ont proposé tout au long de leurs années d’activité une nouvelle façon de concevoir le féminisme. Plus radicales, elles se servaient de leurs corps comme des armes et n’avaient qu’un mot d’ordre : « pussy power ». 

    Plus qu’un groupe, Rockbitch était en réalité une communauté. Fondée en Angleterre au milieu des années 80, cette bande décomplexée a vite pris le chemin de la France pour s’installer dans un petit village près de Metz, au sein d’un monastère. Composée presque exclusivement de femmes, à la fin des années 90, la communauté comptait 17 membres — dont Suna « Kali » Dasi, Lisa « Babe » Wills, Amanda Smith-Skinner ainsi que deux hommes. Ensemble, ils partageaient tout, des prises de décisions en passant par le lit, les amours et les ennuis. Bref, une sorte de microsociété autonome, qui pour rallier le plus de monde à sa cause prêchait sa bonne parole via des chansons très... rock.

    Initialement, le groupe a vu le jour en 1984 et s’appelait Cat Genetica. Dès 1989, il s’est transformé en Red Abyss, avant de finalement embrasser le nom Rockbitch après l’arrivée de la batteuse Jo Heeley. Toutes ces moutures se sont organisées autour de la bassiste Amanda Smith-Skinner. Celle qui se faisait surnommer « The Bitch » avait des idées bien trempées, dont une principale. Elle était convaincue que la liberté et l’égalité entre les femmes et les hommes passeraient par une libération sexuelle, sans compromis, aucun.

    La bassiste a donc commencé à imaginer une sorte de société parallèle et païenne qui tournerait autour des femmes et du sexe. Une invention qui s’est rapidement imposée en lifestyle. Étonnamment, ce qui a déclenché tout ça, c’est sa rencontre avec un homme, le guitariste Tony Skinner alias « The Beast » — leur chanson Lucifer parle d’ailleurs directement de lui. Il quitte le groupe en 2000 pour devenir leur producteur. Un choix motivé par le retrait de leur label d’origine, Steamhammer, plus frileux à l’idée de défendre un groupe si… affriolant en quelque sorte. 

    Après avoir sorti son premier album en 1992, « Luci's Love Child » (sous le nom de Red Abyss), et s'être renommé Rockbitch, le groupe a connu un succès qui lui a permis de multiplier les concerts dans son pays. Lors de ces shows, la nudité était de mise et tout s'articulait autour de cette spiritualité païenne dont les rituels étaient exclusivement sexuels. Sans rentrer dans les détails, disons qu’il fallait être majeur pour assister à cette valse des flux et des corps, qui s'emboîtaient d’ailleurs souvent (pratique sexuelles sur scène, violence, gros mots, etc.).

    Avec le deuxième disque, « Live In Amsterdam » (1997), la renommée du groupe grandit encore. Plus qu’un simple phénomène, les membres deviennent une sorte d’objet de fascination. Pour assouvir les désirs de spectateurs plus nombreux, ils entreprennent une tournée mondiale. La communauté musicale n’oublie pas pour autant son objectif premier : faire avancer les combats féministes via cette extrême liberté sexuelle. Mais plus le public est conséquent, plus le caractère « spectaculaire » de leurs concerts prend le dessus. À un tel point que la roue va tourner.

    D’abord, pour la parution de leur troisième album, « Psychic Attack », leur label se retire de la danse. Il sortira finalement sans aucune aide. Ensuite, certaines salles britanniques et quelques territoires leur ferment leurs frontières. La raison ? Ces concerts pour « adultes » ne sont clairement pas appropriés. On les considère parfois même comme « outrageux ». Enfin, la machine médiatique ne les soutient plus. Dans un article de Dazed & Confused datant de 2017, Babe déclarait à ce propos :

    « Nous avons mal compris la profondeur de la perfidie de la presse et son appétit incessant pour le scandale et le mensonge. Nous pensions que notre combinaison de dépravation et de musicalité de haut niveau obligerait les gens à regarder au-delà des gros titres. Beaucoup l’ont fait, mais le grand public est trop facilement dirigé par les médias. »

    La mort du groupe était donc programmée. Elle sera précipitée par une organisation plus puissante que leur communauté. En 2002, année de dissolution des Rockbitch, Interpol fait pression pour que les musiciennes se taisent. Toujours dans le papier de Dazed & Confused, Babe continue : « Nous étions profondément naïves de penser que notre comportement extrême ferait changer les mœurs du grand public. »

    Rockbitch a bien tenté un retour. En 2005, elles changent de nom et deviennent MT-TV. Chose rare, lors d’une unique tournée aux États-Unis, elles apparaissent habillées. Et puis… plus rien. Amanda fondera tout de même un autre groupe, Syren, toujours en compagnie de la batteuse Jo Heeley. Mais après le décès de sa plus vieille partenaire — suite à une forme grave de cancer du sein — elle arrêtera définitivement la musique. 

    De son côté, grâce à cette folle histoire, Babe aura appris quelque chose. Encore dans les colonnes de Dazed & Confused, elle détaille : 

    « La sexualité féminine est mal comprise, mal représentée et mal interprétée dans la culture moderne. La véritable libération féminine ne sera atteinte que lorsque nous pourrons exprimer notre sexualité sans contrainte culturelle. Lever le voile et montrer comment les femmes sont réellement sexuellement et l’exprimer dans un art créatif — […] — était à la fois une attaque culturelle pertinente et une expression de la prochaine étape du féminisme. Ce n’était pas un “nous devons être ainsi”, mais une extension naturelle de notre mode de vie communautaire prosexe. C’était sérieux et profondément intentionné. Puis, c’était quand même un sacré bon moment. »

    Aujourd’hui, la communauté vit toujours paisiblement en France, comme il est écrit sur leur site officiel. Avec moins d’exposition qu’à leur grande époque, elle continue tout de même leur combat.

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