2023 M09 18
La musique a toujours joué un rôle essentiel dans la saga de Rockstar. On peut même arguer que GTA a inventé l’idée d’inclure des radios musicales dans un jeu vidéo. Vice City et San Andreas resteront éternellement associés à leurs soundtracks, reflets de leurs époques respectives (les 80’s pour le premier et les années 1990 pour le second).
Mais depuis GTA IV, les jeux de la franchise prennent place dans le présent et ne peuvent se contenter de piocher dans la musique du passé. Ils doivent refléter celle d’aujourd’hui.
Après avoir cassé la baraque en 2008 avec la bande-originale de GTA IV, où l’on retrouvait des DJ géniaux (Iggy Pop, François Kevorkian, Karl Lagerfeld, Juliette Lewis, Femi Kuti, DJ Premier…) et 214 morceaux (!) évoquant la diversité du son new-yorkais, Rockstar doit faire encore mieux pour son cinquième opus à l’ambition démesurée (trois personnages jouables parallèlement, un terrain de jeu immense qui reproduit Los Angeles, une durée de vie colossale…).
Ayant travaillé par le passé dans l’industrie musicale – chez le label BMG le cofondateur de Rockstar, Sam Houser s’implique directement dans la création de l’univers musical du jeu, qui est la responsabilité d’Ivan Pavlovich, le superviseur musical des jeux GTA depuis 2005.
Pour ce cinquième épisode, Pavlovich a expliqué avoir voulu reproduire la sensation que l’on ressent en descendant d’un avion à Los Angeles et qu’on allume la radio pour la première fois – la Cité des Anges est connue pour la richesse musicale de son paysage radiophonique. L’idée générale est que la musique nous immerge totalement dans l’ambiance californienne du jeu.
Pour la première fois, GTA intègre donc une radio pop – Non-Stop-Pop FM, avec Cara Delevingne comme animatrice – censée évoquer la grande machine à tubes qu’est la Californie, historiquement.
Elle fait partie de la quinzaine de stations et leurs 241 morceaux que l’on trouvait dans le jeu au lancement – ces deux totaux grimperont nettement avec les versions améliorées sorties sur les nouvelles consoles.
Initialement, Rockstar avait la folle ambition d’inclure 900 morceaux à la bande-originale, mais la tâche était sans doute un peu trop titanesque pour obtenir tous les droits, même pour un mastodonte comme Rockstar.
Le studio resserre donc sa sélection, et celle-ci est redoutable. GTA V est en effet à l’écoute de tous les genres et surtout de toutes les scènes qui agitent à l’époque Los Angeles. On retrouve ainsi une radio (Vinewood Boulevard) entièrement dédiée à la scène garage rock californienne des années 2010, présentée par les deux leaders du groupe Wavves. La scène punk hardcore californienne a évidemment droit à sa propre radio présentée par Keith Morris de Black Flag, tandis que la soul est confiée à l’actrice culte Pam Grier, le reggae/dub/dancehall au regretté Lee Scratch Perry, le funk à Bootsy Collins, l’inévitable classic rock à Kenny Loggins…
Fans de la saga, les frères Dewaele de Soulwax animent quant à eux une radio excellente radio electro à leur nom. Même chose pour Flying Lotus, qui en plus d’avoir composé un morceau exclusif pour le jeu, a droit à sa propre radio (FlyLo FM), où apparaît un fan de San Andreas, un certain Tyler, The Creator, avec un autre titre composé spécialement pour GTA V.
Beaucoup de tendances du hip-hop sont logiquement très bien représentées dans le jeu : Big Boy anime une radio généraliste sur le rap d’aujourd’hui, DJ Pooh s’occupe des "West Coast Classics", tandis que Frank Ocean mélange le rap avec un peu tout le reste sur sa radio "blonded".
Il faut ajouter à ce rappel non-exhaustif – on n’a pas cité la country et la station world par exemple – la pépite de cette bande-originale, East Los FM, la radio qui rend hommage à la culture musicale mexicaine très présente en Californie, et qui achève de peindre un tableau incroyablement varié de la musique de la côte Ouest.
Comme d’habitude dans GTA, on oublie complètement le monde qui nous entoure et on se surprend à errer sans but précis dans les rues à bord d’une voiture volée, simplement pour le plaisir de découvrir le monde et les morceaux des radios entre lesquelles on zappe comme si on était vraiment au volant.
Mais la musique de GTA V cache aussi une vraie révolution. Pour la première fois, une bande-son a été spécialement composée afin d’accompagner les missions du jeu. C’est une gageure, car l’ambition de la bande-son en question est d’être dynamique, c’est-à-dire qu’elle prend des directions différentes en fonction des actions que l’on réalise dans le jeu, le tout sans jamais créer de cacophonie avec les radios.
Plus de vingt heures de musique ont ainsi été imaginées afin de donner une ambiance encore plus cinématographique au scénario de GTA V et ses différents chapitres, et ce dès sa scène d’introduction emblématique, qui donne le ton du jeu.
Cette musique inédite a été composée conjointement par un trio assez improbable qui mêle des influences très diverses : Woody Jackson, rockeur ayant l’habitude travailler avec Rockstar et qui a collaboré avec Michael Shuman de QOTSA pour cet épisode, le duo hip-hop Gangrene (The Alchemist et Oh No) et surtout Edgar Froese, légende à l’époque vivante du groupe de musique électronique Tangerine Dream.
Encore fallait-il le convaincre : le vétéran allemand mort en 2015 a raconté qu’il était persuadé que GTA V n’était qu’un "jeu stupide de plus", avant de changer d’avis immédiatement après avoir eu droit à une démonstration de l’ambition de la chose dans les locaux de Rockstar. Résultat, il a passé huit mois à travailler sur la bande-originale du jeu, composant pas moins de 62 heures de musique au total.
Nul ne sait encore à quoi ressemblera la musique du très attendu GTA VI, mais on peut imaginer que Rockstar voudra encore une fois repousser ses limites en intégrant encore plus de morceaux et de radios.
En attendant, les 185 millions de gamers ayant acheté GTA V vont continuer de monter le volume à fond sur leurs radios préférées en se baladant ou en faisant n’importe quoi à Los Santos, même si le jeu est victime comme ses prédécesseurs d’un grand drame : les morceaux commencent à disparaître à mesure que les droits associés expirent.
Mais quoi qu’il en soit, toute une génération se souviendra toujours de ce mois de septembre 2013, où le lancement de GTA V constituait l’un des deux événements culturels majeurs de l’année – avec la sortie du "Random Access Memories" de Daft Punk quatre mois plus tôt.
En trois jours, le jeu avait déjà rapporté un milliard de dollars. Un record absolu qui donne une idée du phénomène à l’époque, et qui incite à dire que Rockstar pourrait bien renouveler ad vitam aeternam les droits de tous ses morceaux, et ainsi préserver l’œuvre d’art à part entière qu’est la bande-originale de GTA V.