2020 M04 9
Quel drôle de parcours que celui des Strokes. Longtemps qualifié (à juste titre) de « meilleur groupe de rock des années 2000 », les New-Yorkais n’ont eu de cesse depuis la sortie en 2001 de « Is This It » de courir après leur propre passé. Souvent accusés de faire la même chose en moins bien, chacun des membres s’est peu à peu recentré sur ses projets solos (tous se sont prêtés au jeu : The Voidz, CRX, Little Joy, Nickel Eye, etc) au point que les chances d’écouter un nouvel album du groupe en 2020 étaient somme toute assez réduites. La sortie en 2016 de l’EP Future Present Past donnait à ce titre une bonne indication temporelle : même les Strokes semblaient regarder vers l’arrière.
C’est pourtant à cette même époque que les premiers enregistrements de « The New Abnormal » ont débuté, et c’est finalement quatre ans plus tard que le gros paquet est livré sur la table, produit par l’immense Rick Rubin (dont on a du mal à distinguer l’impact). Annoncé en février dernier via les réseaux sociaux du groupe, le sixième album a été comme il est maintenant de coutume introduit par trois singles sur YouTube, dont au moins deux décevants ; de quoi se demander à quoi rimait tout ça et surtout, si c’était bien raisonnable de remettre une pièce dans le flipper.
Et pourtant, cet album aux couleurs de Jean-Michel Basquiat (la pochette est une peinture de l’artiste réalisée en 1981) brouille les pistes. Le titre d’ouverture, The adults are talking, est une surprise avec Casablancas délaissant un temps son chant trainant et fatigué ; un morceau en grande pompe et qu’on imagine parfait pour ouvrir les concerts (comme récemment pour les meetings de Bernie Sanders). Si la guitare est toujours là, elle est pourtant mise en sourdine et ce sentiment est confirmé sur Selfless ; un titre mid-tempo où l’on découvre un groupe en pleine introspection, proche du précipice et malgré tout, toujours debout. Un bel éloge au début de quarantaine porté par ce qui a fait le succès des Strokes : le solo lent de six-cordes sur à peu près six notes.
Plus qu'un retour aux sources, ce sixième album ressemble quand même étrangement à une carte postale de l'ancien monde, avec toute la nostalgie que cela suppose, quand le rock dominait la planète et que les blousons de cuir avaient encore leur place sur des gens de moins de 40 ans. Tout cela semble aujourd’hui révolu, et si « The New Abnormal » l’est, c’est donc surtout pour tous ses anachronismes.
En vingt ans d’existence, les Américains sont passés du statut de leader à celui d’outsider et chaque titre s’écoute, soyons francs, avec une excitation moindre. L’autre paradoxe est que c’est lorsque les Strokes cherchent à faire du Strokes qu’ils sont les plus mauvais. Voir pour cela le très poussif At the door ou le très pénible Brooklyn bridge to chorus, qui, s’il parle de leur ville chérie (comme l’ode au club de baseball des Mets, en clôture), peine à vraiment convaincre avec sa production ultra eighties.
Du point de vue de la surprise, l’intégralité de l’album vole en-dessous des radars : la bande de Casablancas s’éloigne assez peu de sa zone de confort et semble livrer aux fans le disque qu’ils attendaient. L’ambition de toucher une nouvelle génération, plus rap, trap ou électronique, semblant partie en vacances avec le coiffeur de Casablancas, restent donc ces neuf chansons où le sentiment de nonchalance prédomine, comme aux premiers jours de « Is this it ». La jeunesse en moins. Ce que confirme la huitième chanson, Not the same anymore, paradoxalement l’une des plus réussies de cet album classic rock. Parce que justement elle sait s’éloigner des clichés qui entourent le groupe depuis qu’il est devenu un emblème du rock nouveau siècle.
« Je sais ce que les gens veulent entendre, et je déteste le leur donner », confiait voilà quelques semaines Casablancas lors d’un concert à Londres. Un vœu pieux avec lequel le leader prend des libertés sur « The New Abnormal », finalement très proche de ce qu’on était en droit d’attendre de ce come-back des cinq mousquetaires qu’on croyait prêts à s’entretuer. Même sans saisissement réel, une bonne surprise pour conclure : les garçons savent encore écrire des chansons. Et ce n’est pas Alex Turner des Monkeys qui dira le contraire ; lui qui avouait en ouverture de « Tranquility Base Hotel & Casino » qu’il "voulait juste faire partie de The Strokes". Espérons que l’album donnera envie une seconde fois aux kids de toucher leur première guitare.