2022 M09 12
199,99 euros. C’est la somme que les fans des Beatles devront débourser pour faire l’acquisition de la réédition récemment annoncée de "Revolver", le septième album du groupe, véritable chef-d’œuvre de la période psychédélique du groupe de Liverpool.
Certes, il s’agit là d’une édition "deluxe" contenant quatre LP – avec l’album remasterisé et de nombreux bonus –, un EP 4 titres et un joli livre préfacé par Paul McCartney.
Mais un petit tour sur la boutique en ligne officielle des Fab Four permet de constater que le vinyle "simple" du mythique "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" est affiché à 33,99€, et celui du "White Album" à 42,99€.
Des tarifs qui interrogent, quand on sait que des millions d’exemplaires de ces albums ont été écoulés en vinyle depuis plus de cinquante ans, et que malgré la spéculation qui touche aussi le marché de la seconde main depuis un moment maintenant, ces références sont très facilement trouvables d’occasion pour des prix nettement inférieurs.
Oui mais voilà, le contexte de fabrication des vinyles n’a plus rien à voir avec celui de l’époque où le vinyle était le support physique abordable de référence – soit jusqu’à la fin des années 1980 et l’explosion du CD.
La hausse constante des prix du vinyle s’explique ainsi en premier lieu par une chaîne de fabrication de plus en plus inadaptée à la demande du public pour le format. Et pour cause : lorsque le vinyle a quasiment disparu de la circulation pendant les années 1990 et une bonne moitié des années 2000, une grande partie des machines qui les pressent a logiquement été démantelée.
Et lorsque le désormais fameux "retour du vinyle" a commencé à pointer le bout de son nez, il a fallu retrouver ces mêmes presses et les remettre en état de marche. Pour cette raison, les usines qui fabriquent des vinyles dans le monde ne sont pas légion, et même les géants comme le Tchèque GZ Media sont aujourd’hui saturés de commandes et ne peuvent répondre à la demande de tous les artistes, en particulier celle des indépendants qui font faire des volumes beaucoup plus faibles que les majors, et qui sont les grands perdants de la popularité actuelle du support.
Non seulement ils ne peuvent pas réaliser des économies d’échelle car ils n’achètent pas de gros volumes, mais ils doivent surtout attendre des mois avant d’être livrés, si tant est qu’ils réussissent à passer des commandes, et à ce que ces dernières soient honorées.
En novembre dernier, la major Sony Music confiait ainsi au site Variety que plus de 500 000 vinyles du quatrième album d’Adele avaient été fabriqués, ce qui a créé un embouteillage monstrueux dans la chaîne de production, obligeant même un artiste comme Ed Sheeran, pourtant pas le premier venu, à jouer des coudes pour que le vinyle de son album soit pressé à temps pour sa sortie en octobre.
Mais la loi de l’offre et de la demande s’immisce même avant la fabrication des précieuses galettes noires, puisque le prix des matières premières servant à produire les vinyles est également en train de monter en flèche. C’est le cas du carton qui sert à fabriquer les pochettes, mais aussi et surtout du pétrole, dont on oublie trop souvent que le vinyle est issu.
Et outre la problématique écologique du support, qui mériterait un article à elle seule, le secteur souffre aujourd’hui carrément et comme d’autres de pénuries de matières premières. Il faut en outre ajouter que le vinyle est particulièrement handicapé par la hausse constante des frais de port, en raison de sa taille et de son poids.
Et pour enfoncer encore davantage le clou, une directive de l’union européenne fait que si vous commandez des vinyles en dehors de l’UE, vous payez désormais depuis l'an dernier des taxes d’importation, ce qui touche particulièrement le Royaume-Uni et les Etats-Unis évidemment.
En réalité, les hausses de prix constatées ne peuvent seulement s’expliquer par toutes les raisons évoquées ci-dessus, loin de là. En juin 2021, le GREDIN (Syndicat Groupement des Disquaires Indépendants Nationaux) pestait ainsi dans un communiqué largement relayé contre les nouveaux tarifs décidés par les majors pour de vieilles références de fond de catalogue, avec des augmentations de plus de 100% sur des références comme Téléphone ou Air.
Beaucoup voient dans cette attitude un choix marketing : puisque le vinyle est un produit onéreux déjà acheté majoritairement par les CSP+, autant jouer à fond sur l’étiquette d’objet rare et luxueux qui est traditionnellement accolée à l'objet, notamment en multipliant les éditions limitées qui surfent sur la peur des consommateurs de passer à côté, le terrible syndrome FOMO (fear of missing out).
Une stratégie qui encourage aussi le phénomène de spéculation, omniprésent sur internet grâce notamment à la toute-puissance de la plateforme Discogs, où les profiteurs réalisent parfois des marges colossales en revendant à prix d'or ces éditions, une fois qu'elles sont introuvables ailleurs.
Mais tous ces stratagèmes visant à plumer toujours plus les rares mélomanes qui achètent encore des vinyles – un support de niche qui reste moins vendu que le CD en France, faut-il le rappeler – risquent aujourd’hui de se retourner contre leurs têtes pensantes.
L’inflation incite en effet déjà la population à se replier sur les dépenses du quotidien, et les objets culturels risquent évidemment de faire partie des premières victimes de ces arbitrages.
À chacun de décider s’il souhaite débourser 50 euros pour la réédition d’un album amorti depuis des décennies, mais pour 99,9% des gens, cette question ne se pose même plus.