2022 M10 9
Le jour de l'écriture de cet article, Justina, l’une des figures phares du rap underground de Téhéran, postait sur son compte Instagram une story sans appel. En pointant du doigt les largesses d’un papier du New York Times, l’artiste de maintenant 32 ans détaillait les raisons de cette colère qui rythme la vie d’une grande partie des habitants de son pays. Depuis la mi-septembre et la mort de la jeune Mahsa Amini pendant sa garde à vue par la police des mœurs, les Iraniens sont dans la rue et demandent un changement radical de gouvernement :
« @nytimes, fu*k you ! Le peuple d’Iran se mobilise pour ses femmes, sa vie et sa liberté. Il exige la destruction de la République Islamique. Pendant ce temps-là, vous écrivez que nous sommes dans la rue à cause de problèmes économiques ! »
Cette opposition ferme au régime actuel n’est pas une chose nouvelle pour Justina. À vrai dire, cette artiste a commencé ce combat lorsqu’elle avait 17 ans, âge auquel elle s’est mise à faire du rap. Depuis ce jour-là, elle vit une sorte de double transgression. D’abord, parce qu’en Iran, une femme n’a pas le droit de chanter seule devant un public mixte. Aussi, parce que le rap est tout bonnement interdit dans le pays depuis 2007.
Son amour pour cette discipline a débuté avec la découverte d’artistes américains. Une première étape qui lui a permis d’affiner ses goûts et de finalement se passionner pour le rap perse. Lorsqu’elle entend le groupe de hip-hop underground Zedbazi pour la première fois, c’est le déclic. Justina emboîte le pas et se met à son tour à s’imaginer rappeuse. Elle écrit vite ses premiers textes. Textes qui, dès le départ, portent en eux une dimension dissidente prononcée.
Dans une interview que Justina accordait en catimini à l’Obs, il y a plusieurs années, la rappeuse résumait les thèmes centraux de ses écrits, le fil rouge de sa carrière : « Mes chansons sont protestataires. C’est une critique sociale de l’Iran. […] J’aimerais changer les mentalités. Casser les discriminations envers les femmes. » Une lutte difficile à mener, encore plus dans un pays où la censure est omniprésente.
Pour la contourner et réussir à diffuser sa musique, Justina doit emprunter des chemins de traverse. L’un d’eux s’appelle Radio Javan. Grâce à cette plateforme pirate hébergée aux États-Unis, la rappeuse peut mettre en ligne toutes ses nouvelles chansons. Mais ce n’est pas sans risques. En publiant de la sorte ses morceaux, la jeune femme pourrait finir en prison, selon une loi du régime actuel.
Malgré tout, l’artiste continue de mener sa carrière comme elle l’entend, sans trahir ses engagements. Fin 2019, lorsque l’Iran s’embrasait à cause d’une hausse du prix du carburant, la chanteuse composait et partageait le très frontal Fuck U Arbab. Dans ce morceau qui « évoque tous les humains qui vivent en paix dans ce monde, loin de ceux qui nous gouvernent », comme elle racontait à Radio Nova, Justina refuse et réfute l’autorité des « Arbab », c’est-à-dire des « maîtres », de ceux qui détiennent le pouvoir.
Aujourd’hui encore, au vu des derniers événements, Justina est repartie au front. Après que le pays s'est de nouveau enflammé dès suite de la mort de Mahsa Amini, jeune fille arrêtée pour « port de vêtements inappropriés » puis tuée par la police des mœurs, la rappeuse milite plus fort que jamais. Sur ses réseaux et en chansons, elle mène une guerre sans merci contre la République Islamique d’Iran. Une lutte acharnée qui n’a qu’un but : espérer demain, pouvoir vivre dans une société plus libre et égalitaire.
Photo en une : YouTube « pichak - Toomaj ft Justina »