2023 M06 9
Quiconque a déjà vu Smiley Face de Gregg Araki a sans doute déjà ressenti l'envie de vivre le même trip qu'Anna Faris, étiré sur de nombreuses heures, un énorme sourire aux coins des lèvres comme principales séquelles. L'écoute répétée du deuxième album de Jayda G, « Guy », provoque les mêmes réactions, sans avoir nécessairement besoin de l’accompagner d’une prise de stupéfiant.
Tout, dans ce disque, semble en effet dédié au plaisir constant, au sentiment de lâcher prise, au pur défoulement - à l’image, finalement, de ses performances scéniques, où la Canadienne étale sa joie, danse, fait corps avec cette musique taillée pour ces longues nuits passées au beau milieu d’une foule en transe, en espérant que le jour n'arrive jamais.
Née à Grand Forks, à 500 kilomètres de Vancouver, éduquée à la house, à la soul et au disco, Jayda Guy grandit dans un entre-deux : entre les forêts canadiennes et les séjours familiaux en ville, entre la nature sauvage et les soirées passées en concert, entre son goût pour le monde de la nuit et ses études en biologie marine, option toxicologie. Ce qu’il en reste ? Une étude sur l’impact des matières toxiques sur la colonie d’orques vivant au nord de l’île de Vancouver, une participation à la COP26 et une implication, aux côtés de RZA et Seu Jorge, dans le documentaire Blue Carbon sur l’importance des puits de carbone marins afin de freiner le changement climatique.
Aujourd’hui, s’il fallait résumer Jayda G à deux mots seulement, ce serait probablement ceux-ci : hédonisme et virtuosité. Pour le troisième, en embuscade, on opterait peut-être pour éclectisme, tant la Canadienne, installée à Londres depuis 2019 après quelques années à Berlin, semble approcher l’acte créatif comme d’autres créent des playlists : en intégrant, digérant et remixant tout ce qu’elle aime - y compris Anti-Hero de Taylor Swift et Cool de Dua Lipa.
« Guy » permet en tout cas de mesurer le chemin parcouru depuis les premières productions de Jayda G en 2016, et il est vertigineux, marqué par la sortie d'un premier album tout en énergie (« Significant Changes », 2019) et l'obtention en 2020 d'un Grammy Award (catégorie « Best Dance Recording »).
Malgré cette reconnaissance publique et critique, logique à l’écoute de titres tels que Both Of Us et Are U Down, Jayda G a la chance de ne pas crouler sous le poids d’un hit indépassable, après lequel elle continuerait en vain de courir. La raison ? La Canadienne compose des tubes à la pelle, avec aisance mais en fuyant toute forme de facilité. « Guy » est en effet un album à tête chercheuse, un collage fluide de multiples mélodies empruntées à divers styles (disco, R&B, house) et articulées comme une histoire avec les enregistrements de son père, disparu il y a vingt ans, comme fil rouge. La voix de ce dernier constituant une trame narrative chargée de donner de l'épaisseur à l'ambition de son auteure :
« Je voulais que l’album soit un mélange de récits sur l’expérience afro-américaine, la mort, le deuil et la compréhension. Il s’agit de mon père et de son histoire, et naturellement en partie de la mienne aussi, mais il s’agit aussi de tant de personnes qui voulaient plus pour elles-mêmes et qui ont cherché à le trouver. Cet album est pour les gens qui ont été opprimés et qui n’ont pas eu une vie facile. »
Contrairement à ce que l’on avançait, « Guy » est donc bien plus riche qu’un simple euphorisant. C’est aussi une réflexion, un boost de confiance en soi, l’exploration intime d’une artiste qui, aux côtés de Jack Peñate (à la production), Lisa-Kaindé Diaz (Ibeyi) et Ed Thomas (Stormzy, Nia Archives, Jorja Smith), assume ses velléités pop (Blue Lights) et son goût pour les bidouillages synthétiques (Heads Or Trails), tout en s'autorisant à flanquer çà et là de bonnes fessées à la dance music. Sauf que Scars et Circle Back Around ne sont pas simplement deux immenses tubes ; ils constituent aussi la meilleure portée d’entrée vers un univers à l’énergie contagieuse, propice au sourire béat. Que l’on ait vu Smiley Face ou non.
« Guy », sortie prévue le 09 juin sur Ninja Tune.