Avec "Black Girl Magic", Honey Dijon fait monter la moutarde sur le dancefloor

Avec son deuxième album « Black Girl Magic », la productrice et DJ fait une authentique déclaration d’amour à la house music originelle ainsi qu’à ses hybridations. S’il a été créé majoritairement avec « des chanteurs-auteurs et compositeurs noirs et queer », ce disque calibré pour les dancefloors du monde entier s’adresse à toutes celles et ceux qui veulent bien l’écouter.
  • Fut un temps où la house était un genre si confidentiel qu’une poignée d’avertis de Chicago seulement pouvaient l’embrasser. Cette musique inventée dans les entrailles du club local Warehouse à partir de 1977, grâce aux expérimentations du DJ-papa Frankie Knuckles, a mis du temps pour évoluer. D’abord gonflé de boîtes à rythmes et de synthés par des producteurs des alentours, il a fallu attendre bien des années avant que le genre ne s’impose et titille enfin les plus hautes sphères de la musique populaire. 

    Précisément jusqu’à 2022, moment où le style a « enfin » connu son heure de gloire grâce aux albums respectifs de Drake et Beyoncé, soit « Honestly, Nevermind » et « Renaissance ». Pour sa part, Honey Dijon n’a jamais cessé de défendre cette house dite classique. Ce n’est donc pas un hasard si on la retrouve à la manœuvre sur plusieurs titres du disque très réussi de Queen B.

    Si ce fait d’armes n’est pas suffisant pour introduire le parcours de la productrice et icône trans de Chicago, remontons un peu dans le temps. Avant d’atterrir sur ce projet nominé aux Grammy Awards, la DJ a contribué à « Finally Enough Love: 50 Number Ones » (2022), l’album de remixes de Madonna, qui dit d’ailleurs d’elle qu’elle est sa « DJ préférée dans le monde entier », comme le rapporte le New York Times.

    Dernier exemple, rien que sur l’année 2022. En juin passé, Honey Dijon a organisé la soirée d’ouverture du festival Meltdown de… Grace Jones. Une artiste qui a compté pour elle, à qui elle rend hommage sur la pochette de son disque, sur laquelle elle fait une référence à « Nightclubbing », album culte que son aînée publiait en 1981. De récentes sollicitations qui prouvent bien que la dame a eu raison de s’accrocher à cette musique depuis 1998, date à laquelle elle est devenue DJ professionnelle.

    Pour le coup, Honey Dijon rend à la house ce qu’elle a fait pour elle. Avec « Black Girl Magic », son deuxième album sorti à la mi-novembre, la productrice a voulu montrer une facette quasi historique de cette musique. Ainsi, ce projet est autant influencé par le tout premier essai du pionnier de Chicago Lil' Louis, « From the Mind of Lil Louis » (1989), que par celui d’un autre dinosaure du genre, « Tourism » (1998) du New-Yorkais Danny Tenaglia. Une déclaration d’amour aux origines de cette musique qui se prolonge avec Luke Solomon et Chris Penny, deux « vétérans » qui ont posé leurs touches sur chacun des titres du disque.

    Outre ces deux producteurs, Honey Dijon a restreint le cercle de ses collaborateurs. C’est ce qu’elle explique dans une petite note qui accompagne la sortie de son album :

    « En tant qu’artiste, surtout en tant que femme trans de couleur travaillant dans la musique, je voulais que l’album soit cash, sans pudeur, brut et honnête. J’ai surtout collaboré avec des chanteurs-auteurs et compositeurs noirs et queer. Ce sont des chansons sur l’amour, la vie, la résistance, la lutte contre l’oppression. »

    Au milieu de ce casting flamboyant, la productrice de Chicago a aussi voulu faire la part belle à tout un pan de la jeune génération. Parmi ces newcomers pétris de talents, elle a jeté son dévolu sur Channel Tres. Un artiste originaire de Compton, Californie, que l’on connaît de par chez nous pour avoir inventé le concept de tube de l’hiver avec son morceau 6am — préambule d’un long à venir, « Real Cultural Shit », qui s’apprête à faire bouger les bacs à disques. À propos de cette union, il raconte :

    « J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Honey sur ce titre, et ce fut amusant à chaque étape du processus. Nous n’étions pas ensemble, donc c’est toujours excitant de voir où un collaborateur va prendre le disque lorsque vous envoyez vos parties et celui-ci était définitivement spécial pour moi. C’est tout ce que j’aime dans la dance music underground, confiante et sexy. »

    À côté de ce premier invité, la chanteuse et compositrice Kenisha Humber alias Dope Earth Alien ne fait pas pâle figure. Cette Canadienne biberonnée au R&B, grâce à sa voix remplie d'émotions, a d'abord séduit le label Armada Music, qui a produit le morceau collaboratif et furieusement dansant, King Kong. Une première étape qui lui a permis de se retrouver dans les petits papiers de Honey Dijon, et surtout, sur les crédits de deux titres de « Black Girl Magic » — It’s Quiet Now et Drama. Déjà une très belle ligne à un CV qui ne demande qu’à s’étoffer. 

    En dépit du fait que ce disque ait été confectionné en vase (presque) clos, il s’adresse pourtant à toutes celles et ceux qui veulent bien l’entendre et par la même occasion, en apprendre un peu plus sur cette musique complexe qu’est la house. Il parlera aussi, sans doute, à ce public désireux de mettre des paillettes dans sa vie. Des paillettes certes, mais pour aller danser alors.

    Crédit photo en une : Ricardo Gomes

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