2022 M05 20
Evángelos Odysséas Papathanassíou n’a pas toujours été un géant barbu perché sur une autre planète cosmique où les synthétiseurs règnent en maîtres. Mais dès qu’il a eu l’âge de s’assoir devant un piano (4 ans environ) et d’essayer avec ses doigts de produire des sons, le petit n'a cherché qu’une seule chose : la nouveauté. Celui qui adore changer les fréquences de la radio pour y entendre les interférences essaie par tous les moyens — avec des clous ou des chaînes — de triturer l’instrument sous ses yeux pour lui faire dire d’autres choses. Lesquelles ? Il est encore trop tôt pour le savoir. Au sein de la famille, l’enseignement musical classique est primordial, comme l’importance accordée aux musiques traditionnelles grecques.
Mais Evángelos n’adhère pas. Une fois aux Beaux-Arts pour y étudier la peinture, et accompagné de son orgue Hammond, il forme un groupe, Formynx. Petit succès. Mais pas assez pour lui. Avec son cousin, Demis Roussos, il créé un autre groupe, une bête un peu plus féroce : Aphrodite's Child. À côté, il compose ses premières BO pour des cinéastes du coin. On est en 1968 et les Grecs veulent se barrer à Londres. Arrivés à Orly, impossible d’aller plus loin à cause des grèves et d’un refus de permis de travail. Les valises sont posées à Paname.
Dans la capitale, avec les manifestations de Mai 68, Evángelos est certes bloqué, mais aussi libéré. Le groupe formé avec Demis & co signe sur Mercury et sort ses premiers albums — « End of the World » en 1968 puis « It’s Five O’Clock » en 1969. Contre toute attente, le succès de ces disques de rock progressif foutraque est là.
Il prendra des formes plus cheloues avec « 666 », galette expérimentale dont l’audace est l’œuvre d’un Vangelis qui semble n’avoir aucune limite. Un disque « de drogués » — l’album a été composé sous l’influence d’une boisson, le sahlep , qui aurait des effets hallucinogènes — qui est en fait une relecture de l’Apocalypse de Saint Jean, et qui marque le départ de Vangelis vers une autre planète musicale. C’est Aphrodite’s Child qui paiera les pots cassés de cette œuvre magistrale puisque la formation se sépare avant même la sortie du disque, dont le succès commercial dépassera l’entendement.
Avant de se tourner vers les synthétiseurs, Vangelis, toujours à Paris, gère la BO de Sex Power réalisé par Henry Chapier et sort un premier album solo baptisé « Fais que ton rêve soit plus long que la nuit » inspiré par Mai 68. Mais c’est sa rencontre avec ce que Moog, Korg ou Oberheim fabriquent qui va tout changer. Okay, Vangelis n’est pas le premier à poser ses doigts sur un synthé — Silver Apples, Delia Derbyshire, Jean-Michel Jarre, Tangerine Dream et même George Harrison, parmi d'autres, ont débroussaillé le chemin.
Mais comme avec le piano petit, c’est la manière dont il va s’approprier ces nouveaux joujoux qui fera la différence. Pour finaliser sa mutation, le Grec file à l’anglaise direction Londres et se créé un studio rempli de machines : Nemo Studios. La barbu compose ici « Heaven and Hell », première véritable pierre à son édifice électronique — même s’il y a eu « l’Apocalypse des animaux » deux ans plus tôt. Le musicien mi-cosmonaute mi-cyborg futuriste s’enterre alors chez lui et compose des disques planants, difficiles à synthétiser ou résumer tant Vangelis navigue en terre inconnue (« Albedo 0.39 » ; « Opéra sauvage » ; « China »). Le Grec poursuit ses explorations musicales en s’attaquant à la disco, à la new wave ou encore au jazz. Rien ne lui résiste, même si Vangelis n’est pas toujours synonyme de bon goût.
C’est dans les années 80 qu’il va se faire une place au sommet. Oscar de la meilleure musique de film pour les Chariots de feu (1981) et surtout, partenariat avec Ridley Scott pour composer les mélodies de Blade Runner (1982) — l’œuvre principale pour laquelle le Grec est connu dans le monde entier. Si les liaisons entre Hollywood et les Nemo Studios sont souvent brouillées, et que Vangelis refuse carrément de sortir les chansons dans un album, le nanar et sa BO marque un tournant, tant dans la SF que dans la manière d'imaginer les musiques de film. De l’eau coulera sous les synthés puisque le disque sortira finalement 12 ans plus tard, en 1994. Et que faire après un énorme succès comme Blade Runner alors que le monde autour de soi, de plus en plus orienté vers les nouvelles technologies, avance à une vitesse folle ? Continuer.
Vangelis retourne à Paris — son studio est détruit — et continue de mettre ses services au profil du cinéma mais aussi de la pub, de la Coupe du monde de football 2002 en composant l’hymne officiel — ce qu’il a aussi fait pour la prochaine au Qatar cette année. Il collabore aussi avec la NASA le temps d’un projet (« Mythodea – Music for the NASA Mission : 2001 Mars Odyssey »). Mais le nouveau monde n’était pas fait pour Vangelis, qui s’était créé au fil des années le sien. Officiellement, depuis 1995, une planète porte son nom. Et c’est sûrement là-bas qu’il est parti pour son dernier voyage à l’âge de 79 ans.