2023 M07 5
L'image de Björk que renvoie la pochette de son premier album n'est pas celle d'une photo de classe. L'Islandaise, 28 ans, a beau avoir l'air d'en faire dix de moins, quelques éléments ne trompent pas : ses cheveux ébouriffés, son pull, et cet air d'enfant sauvage qui tranche illico avec la posture de ses mains, probablement jointes dans l'idée de souligner qu'il s'agit ici moins de paraitre belle que de se confesser.
« Mon travail avec Björk n’avait rien à voir avec les représentations esthétiques que j’avais eues jusque-là, quand je portais à l’écran ou en photo des femmes chez qui, souvent, la sexualité dominait, racontait aux Inrocks l’auteur du cliché, Jean-Baptiste Mondino. Certaines ont l’impudeur de se déshabiller, de se mettre à poil, de faire des choses provocantes, elle a l’impudeur et la provocation de nous montrer quelque chose d’intime, mais autre. »
Un faux premier album
À l'écoute de « Debut », il convient donc d'oublier tout ce que l'on croit savoir de la pop music, de ses repères, de ses codes et de ses icônes tout en bling bling et en démesure. Il faut également oublier les anciens morceaux de Björk - ceux de son premier album solo éponyme (sorti en ...1977) et de Sugarcubes - et se condamner au présent pour de bon. Car cet long-format ne se nomme pas ainsi en vain : c'est effectivement le début d'une nouvelle ère, loin de Reykjavik, loin du rock, loin des codes de la féminité alors en vigueur.
De Human Behaviour à The Anchor Song, Björk se tient également à bonne distance de tout automatisme préréglé en usine : il s'agit plutôt ici d'effectuer des allers-retours permanents entre des communautés et des esthétiques qui au mieux s'ignorent, au pire se toisent (le jazz, le trip-hop, la transe).
Un disque qui casse les co(r)des
Entre les mains d'un producteur chargé de rendre cette vision de la pop plus conforme et séductrice, « Debut » aurait pu tomber à plat. Or, Björk a l'intelligence de solliciter les conseils de quelques amoureux des studios - Nellee Hooper (Massive Attack et Sinéad O'Connor), Graham Massey (808 State) ou encore la harpiste Corky Hale -, tous chargés de donner forme et épaisseur à ses idées expérimentales, d'offrir une colonne vertébrale rythmique à ces onze morceaux incroyablement joueurs et casse-cou.
Il faut en effet faire preuve d'une sacrée trempe pour poser sa voix, à fois douce et puissante, sur des mélodies aussi schizophrènes, qui passent sans trembler des genoux de la dance (There's More to Life Than This) à une complainte acoustique (Like Someone I Love) trahissant l'amour de Björk pour les écritures ancestrales.
Deux tubes intemporels
« Debut » est donc un véritable virage à angle aigu dans la carrière d'une artiste qui semble avoir déjà tant connu : la vie en groupe, le succès, une tournée en première partie de U2, un déménagement à Londres, etc. D'où, peut-être, cette volonté de se mettre en danger, de tester des croisements entre des genres a priori incompatibles (du saxophone et des sonorités asiatiques sur un beat techno, vraiment ?) d'explorer les moindres recoins de la pop, chaque possibilité, toutes les nuances. Avec, tout de même, l'idée de s'appuyer sur quelques singles forts..
C’est que l'on n'écoule pas trois millions de disques uniquement grâce à des idées visionnaires. Il faut également des tubes, et ça, « Debut », en compte au moins deux : Violently Happy et Venus As A Boy, probablement l'un des plus grands morceaux de l'Islandaise, peut-être même l'un de ses plus personnels. Celui où, pour reprendre les mots de Jean-Baptiste Mondino, Björk fait comprendre au monde entier qu'elle est là pour « nous montrer quelque chose d’intime ». Et trente ans plus tard, rien n'a changé.