De l'underground belge aux radios américaines : la folle ascension de The Haunted Youth

En un album, l'excellent « Dawn Of The Freak », Joachim Liebens a déjà tout dit : son adolescence compliquée, sa nature anxieuse, son goût pour les marges et le peu de considération qu'il a pour lui-même (« I Feel Like Shit And I Wanna Die »). Cette frontalité, c'est précisément ce qui permet au Belge de tout défoncer dans son pays, d'attiser la curiosité des radios américaines et de figurer dans les petits papiers de la presse anglaise. Rencontre.
  • J'ai lu que vous aviez grandi en écoutant de la musique classique et ABBA... Aujourd'hui, quel regard portez-vous sur cet héritage ?

    Pour tout dire, c’est ma mère qui écoutait énormément de musique classique. Elle n’était absolument pas attirée par la pop, à l’exception d’ABBA. Je dirais que ça reflète là une éducation assez conservatrice, du genre à me tenir à l’écart des festivals de peur que je sois confronté à l’alcool ou aux drogues. Sachant que j’habitais à deux pas du Pukkelpop Festival, l'un des plus grands évènements en Belgique, c’était rude… Reste que cette compilation d’ABBA m’a permis de développer une certaine fascination pour ce groupe : les mélodies sont tellement implacables, les refrains si efficaces, c’est presque impossible de ne rien ressentir. Jusqu’à aujourd’hui, c’est resté ! Si bien que je n’ai aucun scrupule à aimer autant Britney Spears que Joy Division ou Motörhead : en un sens, ce sont les mêmes notes, elles sont juste exécutées différemment. 

    Est-ce par réaction à cet enseignement classique que vous avez fini par vous tourner vers le punk et le metal ?

    C’est juste que Motörhead, les Red Hot ou Darkthrone et Mayhem traduisaient en musique une énergie et des sentiments qui trainaient au fond de moi. Je me reconnaissais dans cette scène, de même que dans les sketchs de Jackass. Tu sais, j’étais un gamin assez énervé, plutôt sensible et du genre anxieux. Dès lors, je me retrouvais souvent dans des situations problématiques. Tous ces groupes étaient donc pour moi une sorte de refuge : c’était l’occasion d’entendre d’autres gens crier « fuck you », des artistes suffisamment charismatiques pour m’encourager à le faire à mon tour.

    « Grâce à Tony Hawk Pro Skater, j’étais soudainement fier d’envoyer bouler la musique classique, de porter des vêtements de merde et de traîner dans la rue avec mes potes dans la simple optique de faire des choses stupides. »

    Je crois savoir que la BO du jeu Tony Hawk a également été très importante...

    Ça a été mon introduction à tout un tas de genres musicaux : le punk, le hip-hop, le funk, le ska, etc. Pour moi, jouer à ce jeu et écouter toutes ces musiques, c’était une échappatoire. Ma famille n’était pas riche, j’avais même souvent l’impression d’être une sorte de white trash. En clair, je ne trouvais du plaisir nulle part. Que ce soit chez moi ou à l’école, je suffoquais, j’avais besoin de m’exprimer, de trouver un moyen d’extérioriser tout ça, de me sentir pleinement vivre. Grâce à Tony Hawk Pro Skater, j’étais soudainement fier d’envoyer bouler la musique classique, de porter des vêtements de merde et de traîner dans la rue avec mes potes dans la simple optique de faire des choses stupides. Ce n’était pas simplement un jeu ou de nouvelles musiques que je découvrais alors, c’était un nouveau mode de vie.

    Sur votre album, une chanson s’appelle Teen Rebel : c’est ce que vous étiez ?

    Pour moi, cette chanson symbolise plusieurs choses. Dans un premier temps, c’est une façon de revenir sur mon adolescence, cette période compliquée au cours de laquelle mes parents m’avaient prescrit un traitement pour m’apaiser et favoriser ma concentration en classe. Le problème, c’est que les effets secondaires provoquaient l’inverse : j’étais agité, insomniaque et sujet à de profondes dépressions. Il a fallu attendre cinq ans pour se rendre compte que ces pilules avaient des effets comparables aux amphétamines…
    Dans un second temps, c’est un moyen de parler de ce moment où je commence à vivre réellement, où je rencontre mes amis et où on traîne tout le temps ensemble dans la maison d'un de mes potes. C'était un repère où l'on se réfugiait pour échapper aux problèmes qu'il y avait chez nous. On n'avait même pas 19 ans, mais on passait notre temps à faire la fête, à expérimenter tous types de drogues et à ne se soucier de rien, si ce n’est de cette sensation de liberté. Teen Rebel, c’est donc aussi un hymne nostalgique, une célébration de cette période et de tous ces moments où, à 5h du mat’, tu reprends un truc pour prolonger la fête.

    Vous avez rempli l'Ancienne Belgique de Bruxelles (2000 places) et remporté le Music Moves Europe Awards (après Adele et Dua Lipa). Vous êtes mis à l’honneur par le NME et diffusé par des radios américaines comme KCRW ou KEXP. Vous n'avez pas peur que tout aille soudainement trop vite ?

    L’avantage, c’est que j’ai déjà 29 ans et que je suis passé par pas mal de galères avant d’accueillir toutes ces bonnes nouvelles. Et puis je n’ai jamais eu de grandes attentes. Il y a deux ans, quand des sites ont commencé à parler de Teen Rebel, c’était déjà trop hors normes pour moi. Pareil lorsque j’ai gagné le concours : c’était au-delà de mes espérances. À présent, je dois simplement apprendre à apprécier, ou du moins accepter, tous ces moments étranges où des gens qui aiment ma musique viennent me parler ou prendre une photo.

    En quoi est-ce si étrange ?

    Parce que je ne me sens pas sexy, important ou particulièrement charismatique. J’ai la chance d’avoir une copine, un chien et un album dont je suis fier. Je suis actuellement le plus heureux des hommes, mais il y a toujours des jours où je hais ce que je vois dans le miroir (lors de la discussion, une guirlande « I wanna die » est affichée sur son mur, ndr).

    Aujourd'hui, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de paradoxal à parler de The Haunted Youth comme d'un groupe alors que vous êtes seul aux commandes ?

    En studio, ce n’est que moi. Sur scène, en revanche, on avance vraiment en groupe. Il y a cette vibe familiale qui fait je ne me sens pas comme le boss, qui fait je ne regrette pas de ne pas avoir nommé le projet « The Haunted Joachim ». De toute façon, je ne veux pas être cette figure autoritaire, ça m’effraie. Et puis je ne changerais les membres du groupe pour rien au monde : il existe probablement un meilleur batteur ou bassiste, de même qu’il existe à coups sûrs de meilleurs chanteurs que moi, mais je me sens tellement bien au sein de cette petite famille. Je sais qu’ils sont là, qu’ils prennent du temps pour ma musique et pour aider le projet à grandir.

    « À l’école, je ne me sentais pas à ma place, je me sentais perpétuellement menacé et me battais constamment avec les autres. »

    Fist In My Pocket est le premier morceau que vous avez composé. Pourtant, avec son côté acoustique, force est de constater qu’il est vraiment très différent des autres morceaux de « Dawn Of The Freak »…

    À la base, je ne voulais pas me la jouer songwriter, mais je souhaitais tout de même composer une chanson qui puisse prouver aux gens que je peux en être un. Dans Fist In My Pocket, il y a quelque chose de très fragile, qui est sans doute liée à l’histoire qui a inspiré le morceau. Comme je te le disais, à l’école, je n'étais pas à ma place, je me sentais perpétuellement menacé et me battais constamment avec les autres. Alors, un jour, ma grand-mère m’a conseillé de garder mon poing en poche dès que j’ai envie de frapper quelqu’un. Elle m’incitait à réfléchir, à ne pas agir à l’instinct, de peur de faire pire que mieux. En fin de compte, c’est le meilleur conseil qu’on ait pu me donner, et ça a inspiré ma toute première chanson.

    Ce qui est intéressant avec vous, c'est que vous revendiquez clairement l'influence de DIIV, MGMT ou Mac DeMarco. En un sens, ça vient amorcer l'émergence d'une nouvelle génération d'artistes qui débarquent avec d’autres références que Joy Division ou The Cure.

    Dès la première écoute, je me suis senti proche de DIIV et Mac DeMarco, dans le sens où ils se sont appropriés l’histoire du rock et de la pop, tout en se moquant de la célébrité. Mac DeMarco, par exemple, se fiche que quelqu’un s’empare de sa guitare et se mette à chanter ses chansons sur scène. Ce qui compte, c’est le plaisir, la nécessité de raconter un style de vie, peut-être plus marginal. Pour moi, c’est un exemple à suivre. De là a sans doute découlé mon envie de dédier mon premier album aux freaks. De là résulte certainement aussi cette crainte de ne chanter un jour rien d’autre que l’argent et la célébrité. Très honnêtement, je n’ai pas envie que The Haunted Youth devienne un groupe dont l’existence n’est qu’un prétexte pour payer mon loyer.

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