2021 M11 5
ABBA, ça a finalement toujours été ça : des tubes qui donnent (globalement) la pêche, des mélodies adaptées à presque toutes les occasions qui exigent un peu de grandeur - mariages, fêtes de famille, triomphes sportifs, etc.
Même s’il est souvent réduit à quelques stéréotypes un brin caricaturaux - les paillettes, les costumes kitsch, les arrangements discoïdes poussés à l'extrême -, les quatre septuagénaires suédois ont reçu leur part de reconnaissance comme symbole de ce que l’on pourrait nommer vulgairement « l’hyper pop ». La raison ? Cette obsession pour l'universalité d'un refrain, cette production qui ne connaît pas la retenue et cette faculté à composer des chansons intemporelles qu'on se plaît à siffloter ou à traduire dans des mouvements de danse, bien souvent malgré soi.
Avec « Voyage », tout l'enjeu est donc de perpétuer ce savoir-faire, de proposer des morceaux qui s'inscrivent dans cette esthétique sans paraître daté ou ringard. Premier constat, Björn Ulvaeus et Benny Andersson n'ont pas menti lors d'une interview accordée à Londres en septembre dernier : « On a été scotché par la façon dont elles ont interprété ces chansons. Ecouter Frida et Agnetha chanter à nouveau est une expérience inégalable. »
À 75 et 71 ans, les deux chanteuses conservent en effet cette grâce dans la voix, moins aiguë mais plus sensible que par le passé, cette pureté qui a toujours permis à ABBA d'évoluer en marge de la réalité, tels des hymnes bienfaiteurs détachés des fracas du quotidien, y compris quand les chansons du groupe faisaient danser avec entrain la mélancolie (The Winner Takes It All).
Au-delà de toutes les considérations extra-musicales qui pourraient venir ternir l'écoute de ce neuvième album (A-t-il été fait pour autre chose que des raisons mercantiles ? Ont-ils tout réellement écrit à quatre ?), « Voyage » s’entend comme du pur ABBA - Just A Notion, l’un des trois singles lancés en éclaireur ces dernières semaines est d'ailleurs une version modernisée d'un titre enregistré en 1978, pour les besoins de « Voulez-vous », resté inédit jusqu'alors.
C'est parfois clairement désuet, pas toujours très finaud (le riff de guitare sur I Still Have Faith In You, les synthés sur Keep An Eye On Dan…), mais peut-on réellement reprocher aux quatre comparses de tenir le monde moderne à bonne distance ? Après tout, les Suédois sont simplement en phase avec leur réalité et abordent volontiers des thèmes de leur âge : la famille, voir les petits-enfants grandir, fêter Noël entouré de ses proches (Little Things, pensé pour accompagner les futurs réveillons).
Il y a finalement peu de chances pour que ces dix nouvelles chansons connaissent le même sort que les tubes passés, comme irradiés par leur éternelle juvénilité. « Nous n'avons rien à prouver, s'est d'ailleurs défendu Benny Andersson dans un journal suédois. Qu'est-ce que ça peut faire si les gens pensent que nous étions meilleurs avant ? Si cela n'avait pas été assez bien, nous n'en aurions rien fait ». Il y a effectivement suffisamment d'idées dans « Voyage » pour satisfaire les fans de la première heure : ces harmonies enjouées qui, sous la relative sénilité de cette production assez convenue, dévoilent un vrai savoir-faire mélodique, ces orchestrations de violon presque féériques, ces refrains qui rappellent le plaisir tout simple de fredonner.
Contrairement à ce que prétend l’ultime morceau de l’album, « Voyage » n’est pas une ode à la liberté (Ode To Freedom) : c'est une parenthèse, une visite sans risque et parfois réconfortante dans la musique d'un groupe qui, après avoir fait chavirer les hanches dans les années 1970, souhaite désormais glisser l’auditeur sous un plaid et lui rappeler un adage rempli de sagesse, acquis avec l'âge : oui, la vie est difficile, mais les souvenirs, la famille et la pop music lui donnent du charme.