2021 M11 15
"À l'époque de Dangerous, la popularité de Michael Jackson était comparable à celle de la pizza et du vaccin contre la polio". Ainsi débute la chronique rédigée a posteriori par Pitchfork à propos de l'album paru en 1991, et difficile de donner tort à l'auteur. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Tout débute le 14 novembre 1991, voilà 30 ans. A l'époque, Bambi est aux abonnés absents depuis 5 ans - depuis la sortie de " Bad". Le dernier disque produit par Quincy Jones, s'il est un succès mondial, n'a pas réussi à faire mieux que "Thriller" (en même temps, est-il possible de faire mieux que "Thriller"?). Bilan des courses, Jackson cherche, tente, fait, refait, entre en studio, écrit sans fin et puis, finalement, jette son dévolu sur Teddy Riley, un producteur d'à peine 24 ans. C'est à lui que va revenir le fardeau de ce huitième album qui sortira le 26 novembre. Mais 12 jours avant ça, Jackson lâche une bombe : le single Black or white, clippé par John Landis; pas vraiment un inconnu puisqu'on lui doit déjà le Thriller de 1983, certainement la plus grande vidéo musicale de tous les temps. Ce 14 novembre, 500 millions de personnes à travers le monde sont scotchés devant l'écran pour cet appel à la tolérance avec le jeune Macaulay Culkin au casting. Au total, Black or white est diffusé simultanément dans 17 pays. Et personne ne peut vraiment discuter la domination du King of Pop.
Le casting, le vrai, celui de l'album, est également impressionnant. Il ressemble presque à un annuaire tant l'équipe derrière "Dangerous" est longue comme le bras. Citons Steve Porcaro de Toto, Slash de Guns N'Roses (sur Black or white notamment), Stéphanie de Monaco, non créditée sur l'album et malgré tout présente sur In The closet qui aurait dû être initialement chantée en duo avec Madonna (la chanteuse fréquente alors Jackson et la presse s'empresse d'imaginer une liaison, à tort) ou encore Mark Ryden pour la pochette, à qui l'on devra plus tard le visuel de "One hot minute" des Red Hot. Quant à Jackson, il est partout, loin d'être simplement chanteur sur "Dangerous", il joue à tous les postes pour faire oublier le départ de Quincy Jones après le saint triptyque "Off the wall", "Thriller" et "Bad".
Tout seul aux manettes ou presque, Jackson semble presque encore plus fort : "Dangerous" s'écoulera à 32 millions d'exemplaires à travers le monde, avec une avance faramineuses de 10 millions de dollars pour Jackson. Epic Records espère à l'époque que cet investissement leur rapportera 1 milliard de dollars. Au moins. Pour y arriver, le label s'offre même un réalisateur en vogue à l'époque : David Lynch. Le teaser a un peu mal vieilli, mais témoigne de l'ambition commerciale en cette année 1991.
Au total, près de 60 titres ont été écrits pour "Dangerous", et seulement 14 ont été gardés, dont l'énorme Black or white, évidemment politique dans une Amérique encore très puritaine, mais aussi Remember the time (avec Magic Johnson et Eddie Murphy dans le clip), l'insupportable Heal the World ou encore Jam (avec Jordan dans une vidéo devenue célèbre). La majorité des titres a été écrit en 1990, et ce n'est donc pas un hasard si l'album va rapidement devenir si emblématique de la décennie qui commence.
Le son, à la fois très New Jack Swing (l'influence du jeune Riley à la production) et visionnaire sur le sacre à venir du hip-hop, permet à Jackson, 33 ans à l'époque, de se refaire une jeunesse. Jusqu'à devenir le monstre télévisuel qu'on connaît, et qui le tuera à petit feu. Pour l'heure, le pari est réussi pour Jackson. Sa peau a beau blanchir d'année en année, il réalise là un tour de force artistique et médiatique, une dernière fois, en alignant toutes les planètes. Pas mal, pour quelqu'un qui avouera plus tard avoir écrit l'album en espérant qu'il sonne comme le "Casse-Noisette" de Tchaïkovski, c'est-à-dire un album intemporel.
Les sonorités, parfois datées, ne permettent hélas pas cette comparaison. Mais "Dangerous" sera le dernier fait d'arme d'un Jackson de plus en plus sur la pente. Après ce disque, "History" marquera le lent déclin avec une première revisite de l'oeuvre, puis viendra le très anecdotique "Invincible" qui paradoxalement montrait toutes les failles de Bambi.
Qu'importe : 30 ans après sa sortie, "Dangerous" se réécoute avec plaisir, ne serait-ce que pour replonger dans la mode des années 90, plus que jamais de retour. Disque-symbole d'une époque où la pop et la télé s'invitaient dans tous les foyers avec une paire de sneakers, l'album, 20 ans après sa sortie, a sûrement été pas mal écouté par deux Français. Au moment d'écrire "Random Access Memories", Guy Man et Bangalter iront même jusqu'à débaucher Paul Jackson, Jr., notamment guitariste des séances studio de "Dangerous". Michael, lui, n'aura pas le temps d'apprécier l'hommage.