Coup de vieux : le "Innerspeaker" de Tame Impala a 10 ans

Le 21 mai 2010 sortait en France dans l’indifférence générale un album qui allait agir comme une lame de fond pour le rock dit « psychédélique ». Dix ans plus tard, nombreux sont ceux qui ne s’en sont toujours pas remis. Même pas Kevin Parker.

Le temps invitant souvent au révisionnisme, on a tendance à oublier qu’il y a eu un monde avant « Innerspeaker » ; ça s’appelait les années 2000. Après le sursaut imposé par les Strokes et les White Stripes, vinrent une pelletée d’imposteurs qui allaient faire très mal à la cause, si bien qu’à la fin de la décennie 2000, ce sont finalement James Murphy et LCD Soundsystem, un groupe plus électronique que vraiment « rock », qui gagneront le trophée. Dans la dernière ligne droite, pourtant, un Australien encore inconnu vient de publier ses premiers morceaux sur un EP passé sous les radars. Le titre Sundown Syndrome inaugure, à sa manière, le raz-de-marée qui s’annonce. C'est certes bien, mais pas encore génial.

Enregistré en seulement trois mois (de juin à août 2009), « Innerspeaker » est une bombe à fragmentations. Les rares auditeurs qui mettront la main dessus dès sa sortie en mai 2010 peuvent témoigner : on n’avait pas entendu ça depuis 40 ans (soit depuis : les Beatles). Certes, les titres publiés jusque-là ressemblaient à des démos mal dégrossies du groupe de Liverpool (notamment Remember me). Mais là, c’est autre chose. En 11 titres seulement, Parker redéfinit la carte et le territoire et s’impose comme un homme-orchestre capable à lui tout seul de remettre le psychédélique sur le devant de scène. Écouter le remix de Lucidity par Pilooski, et mourir. 

Pourtant, c’était pas gagné. Ce premier album australien (une nation souvent méprisée dès qu’il est question de guitares) a été composé dans une cabane située sur une plage isolée, avec une connexion internet digne d’un voyage en Picardie australe. Sauf qu’avec sa 2G, Kevin Parker va secouer le cocotier. Le disque, qui devait initialement être double, a été mixé par Dave Fridmann (à qui l’on doit l’autre seul groupe un peu barré des 2000’s, Flaming Lips). Il y a gagné en épaisseur, en profondeur, jusqu’à ressembler à ce mot inventé par Parker pour nommer cet OVNI : « innerspeaker ». Soit le sentiment ressenti lorsque vous captez l’inspiration maximum à travers les enceintes ; un peu comme une prise d’acide, forcément. S’il n’est pas question de drogues directement sur l’album, et que l’ensemble plane très haut, on pense tout de même à la fin des années 1960 et au sentiment de liberté qui coule, alors, dans les veines de Parker. Hippie perdu au pays des kangourous, encore attendu par personne, ce dernier livre un énorme caillou avec quasi un riff mémorisable par titre et cette voix qui donne l’impression d’entendre celle de John Lennon passée à travers 1000 filtres autobronzants.

À l’image de la pochette, entre le kaléidoscope et la mise en abîme, qui en rappelle une autre : celle du « Ummagumma » de Pink Floyd. Ce n’est pas un hasard. Le motif créé par l'artiste australien Leif Podhajsky est depuis entré dans de nombreuses rétines.

Dix ans plus tard, tous les groupes de l’époque ou presque ont été balayés (LCD Soundsystem, Arcade Fire, TV on the Radio, etc). Le grand gagnant est évidemment Tame Impala qui, entre-temps, s’est ouvert à un plus grand public avec Parker collaborant avec Lady Gaga, Mark. Ronson et The Weeknd. Certains parleront de trahison, d’autres d’une ouverture artistique. Le débat est ailleurs. Inspiré par les Suédois de Dungen, Parker a contribué à créer des carrières, notamment celles de Unknown Mortal Orchestra ou Pond, pour ne citer qu’eux.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

My first album is 10 years old today. This version of the cover was 1 version out from the final, but i found it the other day for the first time since 2010 and it makes me very emotional to just look at because it reminds me of what I was going through about a week out from finishing and signing off on the whole album, which scared the shit out of me and at the time seemed like an insurmountable task. Little did I know that was the easiest it was ever going to get. Thank you to everyone who believed in me back then, you know who you are. And thank you Tim Holmes where ever you are, you saved this album in a way my naive self didn’t realise at the time. Announcement of something very special coming v soon.

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Récemment, le principal intéressé s’est fendu d’un post Instagram pour célébrer ce premier album inoubliable en promettant « quelque chose de très spécial pour très bientôt ». Inédits d’époque ? Réédition XXL ? Ou tout simplement l'annonce officielle que Tame Impala va vraiment en finir avec ce reboot disco discutable qu’on peut entendre sur « The Slow Rush » ? Tout est permis.

Ce qui est certain, c’est que l’histoire du rock dit que la première pierre est souvent la plus importante. Dans le cas de Tame Impala, « Innerspeaker » fut un monolithe. Difficile, après ça, de construire une pyramide encore plus grande.

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