2022 M05 10
La véritable naissance du rock français date des années 80. Dans toute la France, on voit alors enfin émerger des groupes solides et originaux. Et de Téléphone aux Rita Mitsouko ou Elli & Jacno, les femmes y ont pris place.
On a même très vite vu arriver ce qui est probablement le premier groupe mené par des filles dans l’Hexagone : les Calamités. Soit trois amies, Isabelle, Odile et Caroline, venues de Bourgogne et jouant un rock bubble-gum savoureux, accompagnées d’un batteur anglais expatrié par amour du vin local. Principalement connues pour leur mini-tube Vélomoteur, elles sont enfin mises à l'honneur dans toute leur gloire par Born Bad à travers une compilation parue le 21 avril. Car en plus d’accueillir le meilleur du rock français contemporain (JC Satan, La Femme, Frustration, Bryan’s Magic Tears…), le label publie régulièrement des compilations impeccables.
Dix-huit titres, dont neuf issus de leur seul album, « À Bride Abattue » en 1984. Pas besoin de plus pour incarner toute une époque. Il suffit de regarder leur entourage : elles publient leurs disques chez un tout jeune label (New Rose), sont aidées par des membres des Dogs ou Niagara, admirées par Étienne Daho. Tout un instantané. Et elles avaient aussi l’attitude. « À l’époque, on détonnait avec nos looks - on achetait nos boots à Londres - et le fait qu'on soit des filles jouant du rock » racontent-elles au webzine Numéro. Ne leur manquait qu’une carrière. Mais les trois amies avaient les pieds sur terre, et n’ont jamais voulu lâcher leurs études pour l’instabilité du rock. Les concerts s’accumulant, jongler entre fac et salles ne laissait pas de temps pour écrire de nouveaux morceaux. Et dès 1985, l’aventure s’arrête.
Pourtant, en 1987, Daniel Chenevez de Niagara les convainc d’enregistrer (sans Caroline) un nouveau titre. Ce sera Vélomoteur, seul succès commercial du groupe, devenu une sorte de classique mineur de l’époque. Elles font des passages télé, sont même parodiées par Les Nuls, qui le transforment en Vibromasseur (« la meilleure reprises des Calamités » assure Odile). Mais c’est trop tard, leur décision est prise. Les Calamités ne seront pas musiciennes professionnelles.
Elles en avaient pourtant les qualités. Leur proposition était en tout cas suffisamment originale pour l’époque. Leur rock issu d’un punk post Téléphone nerveux se démarque par une forte influence 60’s, notamment les harmonies vocales façon Phil Spector. « Sur scène, on aimait bien mettre des tenues sixties, avec des robes à fleurs, des chemisiers à pois, des talons hauts… On s’habillait comme ça, on n’était pas déguisées. » Leurs quelques reprises, très anecdotiques dans leur répertoire, sont surtout révélatrices de leurs goûts : plutôt Who et Troggs que Sex Pistols. Mais l’important reste leur répertoire original, tout en français.
C’est sûrement Étienne Daho, dans les notes de la compilation Born Bad, qui résume le mieux l’affaire : « Des compos géniales, urgentes et bien troussées. Des textes fins et malicieux, un son lo-fi spectorien comme dans les sixties avec des voix angéliques et tout plein d’harmonies. » Elles chantent les galères avec les garçons, la joie d’aller au supermarché, ou la difficulté d’être maladroite dans l’excellent Malhabile. Des chansons au charme qui se résume en un seul mot, plus profond qu’on ne pourrait le croire : l’insouciance.