2021 M11 17
Historiquement, il est possible de retrouver les prémices du rap français dans plusieurs morceaux, notamment de variété. Certains citent Patriarcat de Brigitte Fontaine ou Et je smurfe d’Annie Cordy, tandis que d’autres évoquent plus volontiers Chacun fait (c’qui lui plait) de Chagrin d’amour. En 2020, on découvrait également qu’Alain Chabat avait enregistré en 1979 une version jamais sortie du Rapper’s Delight de Sugarhill Gang. Aujourd'hui, c’est à travers un livre (Fear of a Female Planet, clin d’œil à peine masqué à l’album « Fear of a Black Planet » de Public Enemy) que l’on apprend l’existence de Straight Royeur, un groupe de punk-rap féministe actif de 1989 à 1992.
À sa tête : Virginie Daget, une disquaire punk énervée qui, plus tard, agitera le monde littéraire grâce à quelques livres (Baise-moi, Vernon Subutex) écrits sous un pseudonyme : Despentes. Pour l’heure, la Lyonnaise ne jure que par Charles Bukowski, écrit dans différents magazines de rock, se prostitue occasionnellement via le Minitel Rose et compose avec son groupe des morceaux qui doivent autant aux Bérurier Noir et Métal Urbain qu’à Run-DMC ou Public Enemy.
« Rapper des textes engagés sur une guitare saturée, c’est la mission qu’on s’était donnée, Virginie et moi, fin 1989, raconte Cara Zina dans le bouquin. On tâtonnait, quand le premier café hip-hop de France, le Cool K, a ouvert. L’activisme musical de Public Enemy nourrissait l’envie de renouveler notre pratique féministe. À explorer leurs références, l’analogie entre racisme et sexisme devenait évidente. »
De son côté, Virginie Despentes évoque plus volontiers une période (la fin des années 1980, donc) où le punk et le hardcore commencent à s'essouffler, où un label tel que Def Jam favorise l'émergence d'une scène hip-hop aussi engagée que nerveuse, et où Spike Lee dévoile une autre réalité avec Do The Right Thing. « On n'était pas encore sûres de comment on allait réussir cette histoire de flow, mais on a su tout de suite que c'était ce qu'on voulait essayer de faire. »
Conscients qu'un nouveau monde s'ouvrent à eux, les cinq membres de Straight Royeur inventent alors une musique en prise directe avec les problèmes sociaux et politique de la France des années 1980 et 1990. « La peur va changer de côté », dit l’une des affiches du groupe, ce qui correspond parfaitement à l’activisme du gang lyonnais, qui participe alors à des rassemblements antisexistes ou à des débats sur les violences sexuelles et la contraception. Les morceaux sont à l’avenant. Ainsi de We Are At War, où elles rappent : « Les idées préconçues ressurgissent et meurtrissent la conscience féministe / Manifs de cathos, crackettes à problème d’égo / Parlent et parlent sans crainte de se tromper d’ennemi / Amalgament et sèment le doute dans les esprits / La mémoire courte, la femme libérée s’appauvrit. »
Même si la scansion et la frontalité des paroles paraissent aujourd'hui venir d'un monde oublié, l'insoumission et la liberté, elles, demeurent encore explosives. Résultat : les morceaux de Straight Royeur, réédités en 2018 par le label lyonnais Dangerhouse Skylab, contiennent probablement trop de rage, de collisions sonores et de connexion avec la musique des keupons pour toucher le grand public.
Ça n'empêche pas le collectif de tourner en première partie de U Roy, ni de défendre avec énergie un discours féministe, à une époque où le mainstream ne se gave pas encore des revendications des Riot Grrrls. Après tout, comme l’explique Cara Zina en conclusion de Fear of a Female Planet : « À travers Straight Royeur, un peu de la turbulence punk et de l'épopée rap s'entrechoquent, jetant au passage les éclats d'une révolution féministe dans la musique qui reste à s'accomplir. »
Fear of a Female Planet est disponible sur le site de Nada Éditions.