2021 M05 25
« L’Élysée, est-ce que vous êtes là ? » C’est par ses mots que se conclut une minute totalement absurde. Comment qualifier autrement une phrase contenant les mots youtubeurs, Élysée, Macron, concert et metal ?
Replaçons le contexte : il y a trois mois, le duo de youtubeurs McFly et Carlito répondaient à un défi lancé par Emmanuel Macron, en pleine opération de séduction de la jeunesse. Si leur vidéo sur les gestes barrières dépassait les dix millions de vues, Macron leur promettait de pouvoir tourner au palais de l’Élysée. Un défi facilement relevé pour le duo qui compte plus de 6,6 millions d’abonnés. La suite était donc logique, et la vidéo a finalement été postée le 23 mai. Et celle-ci contenait une surprise finale. Grands fans de metal, les deux influenceurs avaient invité le groupe de metal parodique nantais Ultra Vomit à jouer dans le jardin de l’Élysée.
Et les voilà qui enchaînent une version hard rock de la Marseillaise avec leur reprise metal d’Une Souris Verte, issue de leur premier album en 2004. Une performance qui divise fortement (tout comme le reste de la vidéo, par ailleurs). En effet, là où certains s’en tiennent au simple divertissement (qui est effectivement assuré), d’autres leur reprochent de participer à la campagne d'Manu, dont on est quasi-sûr qu’il compte se présenter à sa réélection. Ce dernier jouerait donc ainsi du flou entre son statut de Président et celui de futur candidat pour redorer son blason auprès des jeunes.
Et si, bien sûr, une seule vidéo ne suffit pas, il serait naïf de ne pas voir que le Président a tout à y gagner. Là où McFly, Carlito et surtout Ultra Vomit y gagnent certes une grosse publicité, mais également la possibilité de passer pour des « vendus ». « Blaster un président de la République, c'est une occasion qu'aucun autre groupe n'aura jamais ! » se justifie le groupe via Facebook, évacuant naïvement l’aspect politique de leur venue. Mais après tout, ce n’est jamais le discours qui les a intéressés.
Halluciné du nombre de personnes defendant Ultra vomit sous prétexte que ça leur fait un coup de pub ou un petit bifton. Ils font ce qu'ils veulent, mais j'ai l'impression que les gens ont complètement oublié les concepts de valeurs et d'intégrité.
— Dichael (@dichael_grey) May 23, 2021
« Nous, à la limite, notre seul engagement, c’est de dire : détendez-vous un peu le slip… » déclaraient-ils déjà en 2017 au site Radio Metal. Depuis leur formation en 2000, les nantais privilégient la forme sur le fond. Au départ, il était avant tout question de grindcore, un des genres les plus extrêmes du metal, avec des titres volontairement ridicules. Après quelques démos confidentielles, le groupe sort son premier album en 2004, « M. Patate ». Humour enfantin et régressif combiné à du metal technique : les bases sont posées. Mais c’est en 2008 que le succès arrive, avec « Objectif:Thunes ». Cette fois, la formation joue à fond la carte de la parodie, dépassant le grindcore pour couvrir de nombreux sous-genres du metal. Ce qui ne change pas, c’est l’humour potache omniprésent. Le groupe s'offre ainsi de vrais classiques, tels Je collectionne les canards (vivants), Boulangerie Patisserie, ou encore Mechanical Chiwawa.
Pour autant, le groupe est parfaitement conscient d’une chose : pour que la blague marche, il faut que la musique soit parfaitement produite. Pour eux, « c’est beaucoup moins drôle si ce n’est pas bien fait », car la parodie suppose une imitation la plus fidèle possible, pour ensuite amener le décalage. Une formule simple en théorie, mais difficile à réaliser. Pour cela, il suffit d’ailleurs de constater qu’Ultra Vomit est quasi seul à atteindre une telle popularité dans ce registre. Sur ce second disque, le chanteur, Nicolas Patra, emploie bien plus un registre « clean », permettant de mieux comprendre les paroles. Plus largement, la musique se fait moins technique, ce qui rend cette musique bien plus accessible à un public non métalophile, mais adepte de cet humour.
Mais la confirmation n'arrive véritablement qu'en 2017 avec le troisième disque, « Panzer Surprise ». S’il a fallu 9 ans pour le sortir, c’est pour une raison simple : « La plupart des morceaux demandent du recul pour vraiment qu’on sache si c’est vraiment efficace, si ce n’est pas trop périssable au niveau de l’humour ». En parallèle de cette maturation, les musiciens se sont livrés à des projets parallèles, certains dans du metal sérieux, et d’autres dans la même veine parodique. Nicolas Patra a ainsi formé le duo Andréas et Nicolas, appliquant la même recette potache et hyperactive à la chanson rock le temps de deux albums.
Sur « Panzer Surprise », le groupe s’essaie même à un autre registre, proche de la parodie : le pastiche. Rammstein, Pantera, Gojira, les imitations se multiplient, si possible en partant d’une blague totalement idiote. Mention spéciale à Calojira, mashup du Face à la mer de Calogero et Vacuity de Gojira. Ces derniers ont même validé la blague. Le disque enchaîne ainsi les blagues à un rythme fou, finissant forcément par faire mouche à un moment ou un autre. L’ensemble donne la même impression qu’un enfant hyperactif, ou qu’un cartoon des Looney Tunes, inspiration pour les visuels de l’album.
Bref, le succès est au rendez-vous, ouvrant à Ultra Vomit les portes du Hellfest en 2017 et 2019, plus de dix ans après avoir joué dans son précurseur, le Fury Fest. Plus fou encore, les Nantais remplissent l’Olympia, qui donne ensuite un album live. Et malgré le confinement, on a récemment pu les voir dans plusieurs livestreams, que ce soit pour le Hellfest 2020, ou plus récemment La TV du Ferrailleur, salle de concert hard-rock de Nantes qu’ils connaissent bien.
Avec son incapacité à rester sérieux, le groupe a réussi à s’imposer comme l’une des formations metal les plus populaires du pays. Pour McFly et Carlito, c’est « le meilleur groupe de metal français, avec Gojira ». Difficile, pourtant, d’être plus à l’opposé de ces derniers, militants engagés et travaillent leurs paroles avec beaucoup de sérieux. Ultra Vomit mise tout sur le fun, avec une désinvolture totale, mêlée d’application technique. Quitte à tomber dans le piège de la récupération politique, semble-t-il. Mais dans cette opération, le groupe est malgré tout resté lui-même jusqu’au bout.