2022 M04 19
Lire Daft, c’est penser à la liste forcément incomplète des articles, documentaires et ouvrages qui ont tenté de raconter l’aventure Daft Punk. C’est imaginer ce que Justice, SebastiAn, Sébastien Tellier, Kavinsky et tant d’autres rejetons de la French touch seraient devenus sans l’écoute approfondie de la discographie du duo français. C’est se dire que le paysage musical mondial ne serait sans doute pas le même si deux jeunes Parisiens, qui se sont rencontrés au collège dans les années 1980, n’avaient pas décidé de passer derrière les machines au cours de la décennie suivante.
Car, tout part de là, et c’est précisément l’histoire qui intéresse Pauline Guéna (écrivaine et coauteure de la série En thérapie) et Anne-Sophie Jahn (journaliste au Point) à travers cet ouvrage commun.
Plus précisément, Daft débute en mars 1992, à Paris, à quelques jours du premier concert de Guy-Man et Thomas Bangalter. Les deux comparses sont encore des Darlin’, ils viennent d’enregistrer leur première démo avec un magnétophone Revox (Cindy So Loud), passent leur temps dans les locaux du disquaire New Rose, et sympathisent suffisamment avec le propriétaire des lieux (Daniel Dauxerre) pour que ce dernier les branche avec le label de Stereolab (Duophonic) après avoir entendu leur reprise d’un titre des Beach Boys : Darlin’…
On l’aura compris : Daft, c’est là tout son intérêt, ne parle pas vraiment des Daft Punk, mais bien de Thomas et Guy-Man, deux ados de 18 ans « pour qui la vie paraît facile », deux jeunes musiciens déterminés à bouleverser le paysage musical, deux fans qui abandonnent les guitares et se lancent corps et âmes dans la techno après un concert d’Andrew Weatherall (le maître à penser d’un de leurs disques favoris : « Screamadelica » de Primal Scream), deux potes lassés du rock, qui ont autre chose à faire que d’attendre que la vie commence, savent pertinemment ce qu'ils veulent et refusent les privilèges de l’industrie (lire cette scène où ils préfèrent le métro à une limousine au sortir d’un rendez-vous chez Virgin, à New York).
Daft, ce n’est finalement que ça : le récit de toutes ces « premières fois qui ont le goût de l’évidence », le roman d’un début de carrière, la narration précise (car nourrie de nombreux entretiens) d’évènements fondateurs : le premier concert aux Transmusicales contre 1500 francs, la sortie des premiers maxis avec le numéro perso de Thomas Bangalter au dos de la pochette, les voyages entre le Wisconsin et Los Angeles, etc. C’est aussi un regard posé sur une époque où Laurent Garnier n’avait pas encore inscrit « we give a french touch to house » au dos de ses blousons, où L’Humanité s'inquiétait que cette « musique composée sous ecstasy et sous LSD exige de celui qui l’écoute qu’il soit sous l’emprise des mêmes drogues. » Un joli livre, donc, qui parle des Daft Punk, mais finalement de beaucoup d'autres choses.
Daft, de Pauline Guéna et Anne-Sophie Jahn, éditions Grasset.