Caballero, Benjamin Epps, Lesram... et si le boom-bap était de retour ?

Si le rap n'a probablement jamais été aussi ouvert et hybride, les dernières tendances n'ont pas eu raison du classicisme propre au boom-bap. De Dinos à Tedax Max, de Souffrance à JeanJass, toute une génération est même en train de lui offrir un sacré coup de lifting.
  • « Ma technique est nécessaire ». En 1988, dans Express Yourself, les gars de N.W.A. ne s’y trompent pas : ils font alors de la rime un art de vivre, une nécessité, le médium ultime à leur argot. D'autres rappeurs optent au même moment pour la même démarche (Rakim, Gang Starr, Common), envisagent chaque phrase comme un moyen de complexifier une pensée, de poser une scène et définissent ainsi dans les grandes largeurs le rap des quinze années à venir. Problème : cette esthétique impacte tellement l’imaginaire collectif que les « puristes » pestent rapidement contre les différentes évolutions du genre - la trap, l’autotune et tous ces morceaux qui, pour schématiser, ne sont pas des 16 mesures posés sur des boucles de piano ou de violon.

    Qu’ils se rassurent : alors que la trap semble s’être essoufflée, le boom-bap fait un retour en force ces dernières années. En France, on ne compte d’ailleurs plus les rappeurs qui, avec réussite commerciale ou non, renouent avec cette esthétique, loin d’être désuète. Parmi les porte-étendards ? Rien de moins que Dinos, Alpha Wann, Nekfeu, Prince Waly, Luv Resval, Lesram ou encore Souffrance et Veerus : tous célèbrent leur passion pour le rap new-yorkais et se veulent plutôt clairs quant à leur amour pour les beats oscillants entre 85 et 92 BPM.

    La dynamique est réelle, et ce ne sont pas les old timers qui s’en plaindront : aux États-Unis, Nas s'est refait une santé ces deux dernières années avec « Magic » et le double volume de « King's Disease », récompensé par un Grammy Awards, tandis qu'Akhenaton s'est rapproché de Nicholas Craven et a rappelé à quiconque en doutait encore que son flow était toujours aussi aiguisé. À l'évidence, c'est l'amour de la rime qui prime, ce goût de la performance que l'on retrouve également chez une nouvelle génération qui, de Tedax Max à Nahir, attirent l'attention des médias les plus branchés - avec Benjamin Epps, ces deux rappeurs ont récemment eu le droit à une session COLORS.

    Si l'on ressent parfois une certaine orthodoxie dans leur manière de poser et dans les productions choisies, hautement redevables à DJ Premier et RZA, tous ces artistes séduisent grâce à un parler complexe, des formules qui claquent et une forme de technicité qui emmène la plupart des textes loin des grammaires usuelles.

    Le plus beau, c'est que cette approche n'empêche pas la modernité, ni le succès : Alpha Wann a fait exploser la jauge du dernier Fnac Live à Paris, B.B. Jacques a profité de Nouvelle école pour imposer un style sans concession, à travers lequel il assume la littéralité de la langue française, Kyo Itachi a réuni ancienne et nouvelle génération sur un même projet (« Solide ») tandis que des médias comme Grünt soutiennent brillamment cette forme de rap, jamais partie, toujours de retour.

    Deux autres artistes s'inscrivent dans le même élan : Caballero et JeanJass. Les deux compères, très actifs en 2022 (un EP pour Caba, un album pour JJ, une session Grünt ensemble), multiplient les références appuyées au hip-hop new-yorkais, développent une musique bourrée d’égo et prennent un évident plaisir à mettre le monde à l'amende en trois rimes. « Les gens ont envie d’entendre des rappeurs qui kickent, croit savoir JeanJass. De fait, la forme rap est de retour : on peut lâcher de grosses rimes sur tous types de production. » Et si, au fond, le succès de la drill et de ses rimes débitées avec envie avait rendu essentielle la présence du boom-bap ? La question est posée, et donne à coup sûr le sourire aux hérétiques.

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