C’est quoi ce gros retour de hype sur Jean-Jacques Goldman ?

Un livre, un film centré sur la vie romanesque de son frère, un spectacle musical (L’héritage Goldman), un nouveau titre écrit pour Sarah Brightman (« Le bonheur est multicolore ») ou encore des albums hommages où ses singles sont tour à tour repris façon gospel ou en mode celtique. C’est un fait : la personnalité préférée des français pour la douzième année consécutive génère fantasmes et nostalgie populaires. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Là est la question.
  • Il faut croire que le passé n’est jamais vraiment de l’histoire ancienne. On tient pour preuve le cas Jean-Jacques Goldman, absent des médias et des bacs à disques depuis 20 ans (« Un tour ensemble » en 2003), et pourtant omniprésent en cet automne. Qu’importent les transformations profondes connues par la société française ces deux dernières décennies, qu’importent les tendances musicales et son retrait volontaire de la sphère artistique, l’auteur de Je te donne est partout, y compris à la Star Academy (Au bout de mes rêves est la chanson phare de la nouvelle saison) ou en couverture des médias, du Point, qui est allé jusqu’à titrer « Les années Goldman : quand la France s'aimait », à L’Équipe, qui a visiblement décidé de profiter de l’engouement pour revenir sur la jeunesse de la star, en partie passée sur des cours de tennis.

    À chaque fois, tout est fait pour faire de ce bon vieux JJG un homme normal, à la hauteur de la population, dont la discographie, si honnête, si populaire, ne laisse finalement d’autres choix que de nous y accrocher, tel ces monuments historiques que l'on garde en points de repères dans des villes inconnues, rappelant au passage ces mots, écrits par Agnès Gayraud dans son ouvrage Dialectique de la pop : « Une chanson ne devient un hit qu’à la mesure de sa capacité à nous ramener toujours à elle ».

    Si le propos d’Agnès Gayraud ne se focalise pas sur le cas Jean-Jacques Goldman, force est de constater qu’il s’applique parfaitement à la carrière du Français, dont les tubes, nombreux, très nombreux, continuent encore aujourd’hui d’être massivement diffusés. Et pas uniquement sur Radio Nostalgie : La vie par procuration, Il suffira d'un signe, Envole-moi ou, par extension, les fameux J'irai où tu iras et Pour que tu m’aimes encore écrits pour Céline Dion, tous ces titres sont systématiquement joués dans des bars, des fêtes de famille, des karaokés ou des soirées d’étudiants même pas nés au moment de la sortie du dernier véritable album de Goldman (« Chansons pour les pieds », 2001).

    Tout l’enjeu est maintenant de savoir pourquoi : pourquoi JJG plutôt qu’un autre ? Pourquoi ce retour de hype en 2023 ? Pourtant tant d’engouement au sujet d’un fin mélomane, certes, mais dont l’intelligelliblité des paroles compte finalement moins que leur articulation, leur sonorité ? Peut-être est-ce, en ces temps troublés, un moyen de se raccrocher à un référent commun, de plonger avec enthousiasme et nostalgie dans des tubes qui réconfortent quoiqu’il arrive. Peut-être est-ce simplement dû à la puissance de ses morceaux, dont on constate chaque année l’intemporalité.

    Peut-être est-ce aussi une fascination pour une vedette qui, alors que l’époque est à l’omniprésence médiatique ou au grand déballage de soi sur les réseaux, a préféré choisir une autre option : figure populaire par excellente, Jean-Jacques Goldman a en effet privilégié le retrait comme ultime manière d’affirmer quelque chose de lui-même, se taire étant finalement le meilleur moyen de reprendre possession de sa vie.

    À l’inverse d’un pays qui ne sait visiblement pas où il va, Goldman force ainsi le respect par ses choix, sa supposée intégrité, perceptible dans ses chansons comme dans son silence, et par sa capacité à ne pas en dévier. On ne sait rien de sa vie, ni de ses habitudes quotidiennes ou de son éventuelle envie de retourner en studio ? Tant mieux : seules restent alors ses chansons, longtemps dépréciées ou négligées par la presse spécialisée, et pourtant omniprésentes dans l'esprit de chacun : « Il a aussi compté pour ceux qui ne l’aimaient pas, ne l’écoutaient pas ou voulaient l’ignorer », écrit l'historien Ivan Jablonka dans son ouvrage, Goldman. Avant d’offrir une autre piste de réflexion quant à la mainmise du Français, 71 ans aujourd’hui, sur l’actualité :

    « Par humilité, fatigue de célébrité ou sentiment d'inadéquation avec son temps, Goldman s'est trop dirigé vers l'absence. [...] Mais l'effacement de Goldman est devenu un mode d'existence. En s'évanouissant, il demeure à nos côtés. »

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