2023 M07 24
« J'me sens comme Nas en nonante-quatre ». Lorsqu'il prononce cette phrase sur son dernier album, JeanJass ne fait pas que rendre hommage à l'un des plus grands rappeurs de tous les temps. C'est aussi une période qu'il célèbre, soit 1994, l'année de sortie du premier album de Nas : « Illmatic », véritable chef-d'œuvre souvent considéré comme l'un des plus grands albums rap de l'histoire. Là où ça devient intéressant, c'est que le rappeur new-yorkais, lui-même, semble ces derniers temps avoir retrouvé la forme de ses débuts.
Car, s'il a bien évidemment connu quelques sorties discographiques compliquées, Nas donne l'impression de s'être régénéré ces trois dernières années, marquées par la sortie de pas moins de cinq disques majeurs : la trilogie « King's Disease » et le dyptique « Magic », dont le deuxième volume est paru le vendredi 21 juillet.
Ce retour en grâce, entamé en 2018 avec « Nasir », Nas ne le doit pas qu'à ses talents de storyteller, à sa façon de faire glisser ses mots ou à ce flow si parfaitement rodé. Il le doit également en partie à Hit-Boy, ce producteur californien de 36 ans qui, après voir un temps œuvré chez GOOD Music (label de Kanye West, Ndr), assume désormais son attrait pour le boom-bap made in East Coast. À l'écoute de « Magic 2 » et des quatre albums précédents, on pense évidemment aux meilleurs productions concoctées par Just Blaze (Jay-Z, Memphis Bleek, Eminem) au début des années 2000.
Du boom-bap réactualisé et raffiné ? Oui, en quelque sorte. Sauf que ces onze nouveaux morceaux, s'appuyant pour certains sur les beats les plus efficaces de la carrière de Nas (Pistols On Your Album Cover), ne peuvent se limiter à ce simple constat : quand Abracadabra puise ouvertement dans le funk de la côte Ouest, Bokeem Woodbine se montre redevable aux soundystems jamaïcains.
L'erreur serait donc de prendre ce qu'est en train de construire Nas comme le geste d'un vieux sage assis sur ses recettes, connecté à la musique de ses débuts comme pour mieux satisfaire un public jamais vraiment remis de N.Y. State of Mind ou The World Is Yours. « Magic 2 », c'est vrai, manque peut-être d'un peu de surprise, mais quel plaisir de redécouvrir Nas ainsi, sans apparat, lui à qui on a souvent reproché de ne pas savoir choisir ses productions. Quel plaisir de l'entendre se frotter à la nouvelle génération (21 Savage) ou à d'anciennes gloires (50 Cent) sans jamais se dénaturer, faire dans le jeunisme ou céder le pas à la nostalgie.
Quelle joie aussi d'entendre un homme qui, bien que riche à millions, frappe toujours aussi juste dès lors qu'il s'agit de faire dans l'egotrip, de toucher à l'intime ou de mener une réflexion sur la nature de l'art au sein de la population afro-américaine (What This All Really Means). Cette justesse - dans la voix, les rimes, les prods - n'a rien d'anodine : elle témoigne de la sagesse et de l’expérience d’un rappeur qui, aux côtés de Hit-Boy, parvient aujourd'hui à formuler les grandes vérités de ce monde. À commencer par celle-ci : à 49 ans, Nas paraît toujours aussi pertinent, et continue de surprendre dans un domaine où il excelle ; un rap brut, technique et sans chichis.
Crédits photo : Obidigbo Nzeribe.