Avec le Brexit, les musiciens anglais quasi privés de tournées européennes

L’accord du Brexit exclut les musiciens : il faudra désormais un visa aux artistes britanniques pour tourner en Europe. Un constat déprimant pour un pays à l’héritage musical immense, pénalisant particulièrement les jeunes groupes, qui ont pourtant besoin de ces tournées pour se développer. La mobilisation ne s’est pas faite attendre : une pétition signée par 280 000 personnes a entraîné la tenue d’un débat parlementaire sur le sujet, ce 8 février.
  • Le premier janvier, la nouvelle tombait : le Royaume-Uni et l’Union Européenne avaient enfin trouvé un accord in extremis sur le Brexit. S’ensuivit une grande désillusion : les musiciens en étaient exclus. Ni eux ni leurs techniciens n’auront droit à des visas gratuits pour jouer hors de leur pays. Organiser une tournée européenne tournerait donc d’emblée au casse-tête : il faudrait payer un visa pour chaque personne et chaque pays, et s’acquitter de frais de douane pour le matériel.

    La pilule est dure à avaler pour les artistes, en particulier pour les groupes émergents. Pour eux, jouer en Europe est un passage crucial pour se faire connaître. Et ce n’était déjà pas facile. Dès le mois de décembre, une manager, Ellie Giles, faisait le calcul sur Twitter : pour une équipe de six personnes, une tournée dans trois pays dans des salles de taille moyenne était déjà déficitaire avant le Brexit. Dorénavant, les pertes seraient carrément doublées. Contactées par le webzine anglais NME, le duo rock féminin Nova Twins correspond totalement à ces jeunes groupes encore entre deux eaux. Pour elles, la seule solution serait d’avoir une seconde équipe de tournée, basée en Union Européenne. Un choix qui serait aussi peu pratique qu’injuste pour leur équipe britannique. Dans le même article, la chanteuse The Anchoress affirme que « les groupes seront bien plus formés par des gens de la classe moyenne, ou de la classe moyenne supérieure, et je trouve ça écoeurant et terrifiant ».

    La problématique pourrait même être exponentielle : comme l'expliquait le Guardian le 25 janvier, face à ces difficultés, les festivals pourraient mettre de côté les artistes anglais au profit du reste de l’Europe. Et ce serait toute la scène britannique dans son ensemble qui perdrait, au niveau financier comme en visibilité, tant le réseau des festivals est central dans l’écosystème musical. Une manière de se mettre soi-même sur la touche.

    La mobilisation ne s’est pas faite attendre. Dès le 20 janvier, une lettre ouverte était signée par 110 musiciens, dont Elton John, Ed Sheeran, Liam Gallagher, Sting, Radiohead et même le chanteur des Who, Roger Daltrey, pourtant pro-Brexit. On y lit notamment que l’accord du Brexit possède « un trou béant où la liberté de mouvement promise aux musiciens devrait être ». Sur les réseaux sociaux, Geoff Barrow, de Portishead et Beak, lance le #boriskilledmusic. Début février, le Guardian a accueilli plusieurs tribunes de musiciens, comme Colin Greenwood de Radiohead, ou le vétéran Elton John. Ce dernier pointe notamment les solutions à court-terme qui doivent être apportées, en attendant une renégociation de l’accord. « Ils ont merdé », résume-t-il à propos des négociateurs du Royaume-Uni.

    Mais surtout, une pétition a été lancée, notamment menée par le chanteur des Charlatans, Tim Burgess, devenu une voix importante de la contestation du monde musical. Recueillant plus de 280 000 signatures, elle a imposé un débat sur ce sujet au Parlement Britannique. Celui-ci a finalement eu lieu le 8 février, sans que rien de concret n’émerge, si ce n'est un appel à l'action au gouvernement.

    Ce dernier décline toute responsabilité dans cette déroute, affirmant que l’Union Européenne a rejeté leur proposition « ambitieuse », sans faire de contre-proposition. Une affirmation immédiatement démentie par l’institution européenne, qui elle déclare avoir proposé des visas gratuits de 90 jours. La Ministre de la culture britannique, Caroline Dinenage, a déclaré le 18 janvier qu’une telle proposition « n’aurait pas été compatible avec les engagements du gouvernement pour reprendre le contrôle de nos frontières », affirmant que cet accord aurait permis à n’importe quel résident de l’UE de faire un court séjour sur le territoire britannique. En bref, chacun se renvoie la balle, et les musiciens ne sont pas plus avancés.

    Ce qui ne manque pas d’attiser leur colère, notamment en Écosse. Pour Chris McCrory, du jeune groupe Catholic Action, « on va tous perdre la possibilité de vivre, travailler et voyager sans visa dans 27 pays, tout ça pour la survie des carrières politiques de droite ». Plus radical, son compatriote Stuart Braithwaite, guitariste de Mogwai, appuie : « le problème c’est que les Tories [membres du parti conservateur, dirigé par Boris Johnson] n’ont pas d’âme, et que la musique repose sur le fait d’en avoir une ».

    La situation n’en reste pas moins catastrophique pour ce pays, dont la musique est pourtant un symbole extrêmement fort. Encore très puissante dans les années 90, avec Oasis ou The Prodigy, l’influence du pays semble avoir considérablement réduit ces derniers temps. Il y a certes ce récent renouveau post-punk, porté par Idles ou Shame, mais cette décision pourrait bien le tuer dans l’oeuf. En septembre 2020, un sondage révélait que 64 % des musiciens interrogés songeaient à jeter l'éponge. Alors même que l’annulation des concerts depuis bientôt un an les prive de revenus, ce nouveau coup dur pourrait être terrible.

    Pour autant, l’espoir reste permis. La forte mobilisation de ces musiciens a montré une vraie force de rassemblement et de solidarité, qui traverse les classes sociales et les générations. « Si des groupes lisent ça », conclut la chanteuse de Nova Twins, « persévérez, d’une manière ou d’une autre ». En espérant des jours meilleurs.