Comment le rap groenlandais aide la jeunesse à lutter contre le suicide

À l’autre bout du globe, au Groenland, la scène rap compte bien rompre avec la difficulté de la vie en rendant toutes ses lettres de noblesse à la culture locale à grand coup de chansons et de textes engagés. Une mission extrêmement compliquée dans ce pays toujours sous la coupe du Danemark, et où la société doit faire face à de sérieux problèmes de violences, d’alcoolisme, de chômage et de suicides.
  • L’occidentalisation du Groenland s’est faite de manière éclair. En une soixantaine d’années, les plus importantes villes du pays, dont la capitale Nuuk et ses 19 000 habitants ont embrassé un mode de vie de services et de tourismes qui tranchait radicalement avec la vie traditionnelle rythmée principalement par la chasse et la pêche. Un changement d’habitudes si brusque qu’il ne s’est pas fait sans heurts ni fracas.

    Ce passage soudain à la modernité a créé de nombreux drames sociaux, symbolisés par un taux élevé de suicides, de chômage, de violences domestiques et d’alcoolisme. Malgré tous ces maux qui bercent le quotidien de l’île la moins densément peuplée du monde, la scène rap locale (et plus généralement la jeunesse) se mobilise pour faire face à ces fléaux grâce à une revendication de la culture inuit.

    Parmi ces acteurs engagés, il y a Josef Tarrak, l’une des têtes de gondole du rap groenlandais, genre de musique le plus écouté par les jeunes. Comme il l’explique au sein de ce reportage publié chez Marie Claire, dans ses textes exclusivement chantés en inuktitut, la langue nationale, il raconte son « enfance pourrie, les gamins qui grandissent dans la pauvreté, l’alcool, la drogue. ». Car dans ce petit pays à l’allure de désert blanc où le travail se fait rare, les excès sont des moyens plébiscités pour tromper l’ennui. Et ce n’est que le début du cercle vicieux.

    Avec cette consommation outrancière engendrée par les changements brutaux décrits plus haut, ainsi qu’une méconnaissance des droits de l’enfant, les abus sexuels tout comme les violences sont devenus monnaie courante. Jonna Ketwa de Save the Children Groenland tirait d’ailleurs la sonnette d’alarme dans une prise de parole relayée par la RTBF :

    « Énormément d’enfants sont victimes d’abus sexuels et font l’expérience de violences dans leurs foyers. S’ensuit chez beaucoup d’entre eux une vie pavée de problèmes et d’anxiété, ce qui fait que beaucoup de jeunes se suicident. »

    Précisons ici que le pays affiche un des taux de suicide parmi les plus élevés du monde, 1 pour 1000 habitants en moyenne, toujours d’après nos confrères belges.

    Mais au milieu de ce climat polaire et compliqué, certains artistes ont décidé de ne pas se laisser sombrer et de s’exprimer. En plus de Josef Tarrak, on retrouve les biens connus localement Malik Egede alias Don Maliko et Pilutaq Lundblad qui forment depuis 2020 le duo Toornat. Ensemble, ces deux rappeurs racontent leur quotidien ardu et se font ainsi les porte-parole d’une génération désenchantée, désabusée. Dans un article de Vice, ils expliquent : « La difficulté de grandir ici, c’est qu’il y a des problèmes d’addiction à l’alcool et aux drogues chez les jeunes. Et si tu veux aller n’importe où en avion, c’est très cher, donc les jeunes ne quittent jamais le pays. » À vrai dire, il existe bel et bien une alternative : le Danemark.

    La parole revient à Josef Tarrak, qui dans l’article de Marie Claire expose quelques soucis que subissent les Groenlandais quittant leur pays : « Dans mes morceaux, je chante également mon ressentiment vis-à-vis du Danemark. Le racisme, les stéréotypes dans lesquels les Danois nous enferment : on ne fout rien, on est primitifs. » Même si le Groenland n’a plus le statut de colonie depuis 1953 et a acquis son autonomie interne par rapport au Danemark en 1979, il reste sous la coupe de ce dernier. Une situation qui génère son lot de problèmes, comme Josef le raconte dans son titre Tupilak ; traduit ici en anglais.

    Alors, pour contrer tous ces troubles identitaires que cette occidentalisation a créés, la jeunesse et la scène rap ont décidé de se rattacher à leurs traditions. Toujours pour Vice, les membres de Toornat racontent :

    « Aujourd’hui, les habitant.es du Groenland commencent à se renouveler en adoptant la culture inuit, avec la danse du tambour, les tatouages sur le visage et les rituels de chasse. Sur le plan musical, de nombreux styles différents commencent à émerger et la réalisation de films est en plein essor ».

    Si les lignes bougent petit à petit, il faudra du temps à cette jeunesse pour qu’elle reprennent totalement les rênes. Mais dans cette quête de pouvoir et de renouement à qui ils sont vraiment, les Groenlandais peuvent compter sur la force exceptionnelle de la musique. D’autant plus que ceux qui la pratiquent, selon ce texte, constitueraient une majorité par rapport au nombre total de résidents.

    Crédit photo en une : YouTube « Tarrak - Tupilak (Official Music Video) »

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