Connaissez-vous A$ian Rocky, nouveau taulier du hip-hop belge ?

Sous cet alias, se cache Benoît Do Quang, un artiste pluriel qui a choisi de ne pas choisir entre les images et le son. Arrivé en même temps que cette vague belge de talents hip-hop et plus si affinité, le Liégeois s’est d’abord fait remarquer derrière la caméra, avant de squatter à son tour le devant de la scène avec son groupe Ulysse et en accompagnant Roméo Elvis. Il nous a raconté ce parcours atypique.
  • La première fois que tu as réalisé un clip, c’était pour Caballero ?

    Disons que j’étais plus vidéaste à cette époque : un gars qui fait tout, tout seul. Quand tu es vidéaste, a fortiori, tu réalises par défaut : tu es le seul à bosser sur l’image. Mais, je ne savais pas ce que c’était de réaliser, comment écrire un clip, comment préparer un tournage… J’avais juste ma caméra et cette envie de faire de la vidéo. Comme je kiffais la musique et ce que Caba' faisait, je lui ai proposé de lui faire un clip gratos. On a donc fait Chiens des villes, qui n’est pas un très bon clip, mais c’était mon premier clip de rap !

    Ensuite, tout a changé avec le clip de Bruxelles arrive ?

    Avant ça, j’ai fait plusieurs autres vidéos pour le projet solo de Caba : Chiens des villes donc, Mérité, Médaille d’or… Un ou deux ans plus tard, il s’est lancé avec JeanJass et il m’a rappelé pour le clip de Repeat, un des premiers titres de leur duo qui a bien fonctionné. Du côté de Roméo [Elvis], ça commençait à prendre aussi. Son idole, ça a toujours été Caba', c’est un peu son tonton dans le game. Donc il a vu ce clip, il a kiffé et on a discuté sur Facebook. Il m’a envoyé un message pour me féliciter par rapport à Repeat et il m’a proposé de faire un clip pour lui. C’était hyper spontané, et dans la scène bruxelloise, c’est toujours comme ça. Le clip dont il parlait, c’était Bruxelles arrive.

    Est-ce que tu sais ce que ces artistes aiment dans ton travail ?

    Je crois que ce qui a plu — chez eux ou le public —, c’est la spontanéité. Ici, à Bruxelles, on fonctionne beaucoup au feeling. C’est pour ça que je bosse souvent avec Roméo, que je l’accompagne aussi sur scène. En vrai, il y a des dizaines de musiciens qui sont meilleurs que moi, mais on est dans une atmosphère de travail qu’on apprécie tous les deux, et ça prime sur le reste. Puis, je crois que j’avais plus ou moins trouvé ma patte : j’avais une bonne notion de rythme et il y avait une part de spontanéité. Eux, ils étaient aussi dans une démarche où ils ne voulaient pas trop se prendre la tête. Ça commençait à marcher, mais ils ne souhaitaient pas rentrer dans des logiques de grosses productions. Il y avait une grosse partie d’improvisation. Et il faut dire qu’ils avaient une sacrée énergie à revendre.

    Tu coréalises en duo avec Pablo Crutzen, sous le nom de Dozen depuis quelque temps maintenant. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

    Pablo a un parcours un peu similaire au mien : il a fait des trucs à l’arrache très cool, comme partir en tournée avec Arcade Fire... Il est aussi autodidacte. On s’est retrouvé à faire deux séries documentaire ensemble et on s’est rendu compte qu’on kiffait réaliser à deux. Surtout, on avait envie de passer de vidéaste à réalisateur. La différence, c’est que, lorsque tu es réalisateur, ce n’est plus toi qui gères la caméra, tu t’entoures d’une équipe et tu deviens plus un chef d’orchestre. On ne vient pas d’une école de ciné et finalement, nous n’avons pas de background… Alors on s’est dit, faisons ça ensemble, mélangeons nos idées et faisons un tout avec ça. Dans la foulée, on nous a proposé des clips et on a senti que la formule marchait bien. On a débuté avec Bianca Costa; ce sont les premiers clips qu’on a faits en tant que réalisateurs. On a vite appris les rudiments. Maintenant, on commence à trouver un style qui nous ressemble vraiment plus, comme sur AC de Roméo Elvis, ou le dernier de Caballero.  

    Ce « OSITO » dont tu parles est un mini-film truffé de références. Vous avez plus écrit, et de façon plus générale, plus préparé le tournage ?

    À fond. On est très content : c’est vraiment la première fois qu’on prend du temps pour écrire et développer une trame narrative. Ce clip est une référence à son freestyle de la cigarette fumante. Ça avait marqué les gens et il voulait revenir à ça. Ça donne cet EP (« OSITO »), qui est pensé comme un freestyle. Il a poussé le délire en faisant un clip continu. La seule contrainte qu’il nous a posée, c’était de le faire mourir à la fin : il avait demandé à un gars qui fait de l’animation de le transformer en un ourson qui travaille dans un cirque et qui va tuer son dresseur… Donc on est parti sur un délire : mourir en s’étouffant avec une paëlla. Sinon, on a opté pour un changement fort d’univers à chaque fois que la prod switchait aussi. C’était vraiment l’occasion de s’éclater et de faire enfin toutes ces idées que nous n’avions pas pu faire, comme ces plans à la GTA. 

    En parallèle des clips, tu as eu un groupe de musique, Ulysse. Après la sortie de votre premier EP « U as in Ulysse » en 2014, les choses se sont bien enchaînées. Vous avez joué sur de grandes scènes, vous êtes passés en radio, vous sillonné la Belgique et proposé deux autres projets.

    Franchement, c’était une école très formatrice. Tous les trois, on était fan de musique, mais on ne savait pas comment produire un morceau, ce que voulait dire mixer, comment l’industrie du disque fonctionnait… On a tout appris à tâtons, en essayant de tout faire de nos mains. Maintenant, je bosse avec Roméo, mais les deux autres ont chacun un projet solo, et tu sens qu’ils ont acquis une solide expérience. On a arrêté le groupe en 2019, pas à cause de problèmes perso, simplement parce qu’on avait l’impression qu’on était au bout de ce qu’on voulait faire ensemble. Ça nous a aussi permis d’intégrer la scène musicale belge. En réalité, c’était une sorte de prise de conscience — que j’ai eu avec les clips de rap également : se dire que tout est possible même sans moyen, tant que tu as de l’énergie. 

    Tu as aussi accompagné Roméo Elvis en tournée. Comment ça s’est fait ?

    La première fois qu’on est parti ensemble, c’était sur « Morale Deluxe ». Je prenais la place de Motel. Avec Ulysse, on s’est retrouvé à fréquenter Fabien [Le Motel]. On kiffait trop ce qu’il faisait, et lui de même : la scène bruxelloise quoi ! C’est donc lui qui m’a proposé de le remplacer et c’est arrivé au moment où on arrêtait le groupe. Lui voulait se concentrer sur sa carrière solo et moi, j’avais toujours rêvé de faire de grosses scènes. J’ai dit oui direct et je me suis retrouvé droppé dans cette équipe que je ne connaissais pas. Au début, ce n’était pas clair : j’étais censé faire une ou deux dates en remplacement, mais au final, 4 ans après, je suis toujours là ! Pour « Morale », on était juste 3 sur scène, ensuite, pour « Chocolat », Roméo a voulu un vrai band et depuis, on est 4. On recommence cet été avec les festivals, et après… surprise !

    Finalement, quand on prend un peu de hauteur sur tes carrières, on se rend compte que tu as contribué à l’éclosion de cette génération d’artistes belges qui s’est depuis imposée.

    À fond. Dès que je suis arrivé à Bruxelles, j’ai capté qu’il se passait un truc. J’ai senti cette émulation. J’avais trop envie de faire partie de ces gens qui voulaient faire bouger les choses. C’est aussi pour ça que j’ai commencé à faire de la photo et de la vidéo, pour être avec des artistes et intégrer ce monde. Indirectement, faire de la vidéo m’a amené sur la scène. Si je n’avais pas fait ça, je n'aurais pas rencontré Roméo ni fait partie de son groupe. J’ai souvent cette réflexion : est-ce que c’est mieux de se concentrer sur une seule chose et essayer de le faire à fond ? Ça peut être une idée, mais je crois que si j’avais choisi de choisir, je n'aurais pas pu faire ce que je fais maintenant.

    Crédit Photo en une : Renaud Coppens  / Autre crédit photo : Martin Gallone

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