2020 M12 15
On pourrait croire qu’un stream est un stream, et qu’il a la même valeur peu importe l’artiste, qu’il s’agisse de Kanye West ou d’un groupe de rock indé finlandais. Ce n’est pas le cas. Le système de rémunération et le partage des revenus liés au streaming est une usine qui tourne à vide. Déjà, il favorise les artistes les plus streamés. Ensuite, la répartition entre le label et l’artiste est peu glorieuse : les maisons de disques captent 70% des revenus des plateformes, et les répartissent ensuite aux artistes.
En moyenne, les labels reversent ensuite 10% des revenus du streaming qu’ils ont encaissés à l'artiste. En gros, les labels prennent 90%, et les artistes 10%. Quand on connaît le prix d’un stream sur Spotify, (0,0034 dollar par écoute en 2019, selon le site The Trichordist), vous imaginez bien qu’à la fin, il n’y a pas grand-chose sur le compte en banque des artistes, sauf si vous êtes une star internationale, et que vous êtes aussi en position de force pour négocier un contrat plus avantageux.
C’est pourquoi « 90% [des artistes] reçoivent moins de 1000 euros par an, même si leurs titres sont streamés jusqu’à 100 000 fois », peut-on lire dans l’article du Monde, reprenant les résultats d’une campagne intitulée « Pay Performers » lancée en septembre 2020 par Aepo Artis (l’association européenne des sociétés de gestion des artistes interprètes).
D’après la société d’analyse américaine Alpha Data Music, en 2019, 1% des artistes a capté 90% des écoutes globales du streaming. « Et parmi ce 1% d’élus, 10% ont concentré 99,4% des écoutes. En d’autres termes 1,44 million de la communauté d’artistes dont la musique est présente sur Spotify, Apple Music ou Deezer ne représente que 0,6% des écoutes globales », reprend l’article. Toujours selon Aepo Artis, seuls 1% des artistes perçoivent un SMIC grâce aux streams.
Ces chiffres montrent donc un système qui favorise les grosses machines et les styles du moment (le rap par exemple), avec des algorithmes qui, en plus de les mettre en avant, noient les autres dans la masse. Même avec des « scores » plus qu’honnêtes, les artistes n’arrivent pas s’en sortir : sur Twitter, la violoniste Tasmin Little a déclaré avoir reçu 13,38 euros en six mois pour « environ cinq à six millions de streams ». Pour Jon Hopkins (artiste électro) ? 6,60 euros pour 90 000 écoutes sur Spotify.
It was £12.34 for 6 months, in other words for around 5-6 million streams https://t.co/VFjJJ8jq53
— Tasmin Little OBE (@tasminlittle) May 18, 2020
Pourtant, un autre système existe : le « user centric payment system (UCPS) », prôné notamment par Deezer. Ce terme renvoie à l’idée de rémunérer uniquement les artistes écoutés par un auditeur, ce qui n’est pas le cas avec la méthode actuelle : le « data centric » (vous donnez de l’argent à des artistes que vous n’avez peut-être jamais écoutés puisque l'argent qu'un abonné dépense n'est pas reversé aux artistes qu'il a écoutés mais à ceux qui génèrent le plus d'écoutes au global).
Le « user centric » est un mode de rémunération plus équitable : « J'ai un abonnement. Je paie 10 euros. Seuls les artistes qui sont passés par mon casque toucheront la part de mon abonnement qui leur revient », explique le journaliste Sophian Fanen, spécialisé des questions du streaming, sur le site Korii. En d’autres termes, « si vous n’avez pas écouté Booba, le rappeur ne touchera pas un centime de votre abonnement », résume le journaliste sur le site Les Jours (à lire pour bien cerner le sujet).
Mais plusieurs arbres sont placés au milieu du chemin : il faut convaincre les labels et les maisons de disques (enfin, surtout les trois majors puisqu’en France, plusieurs labels indépendants sont d’accord) et ce nouveau système serait également compliqué à mettre en place. Il paraît pourtant être une solution pour permettre aux artistes, déjà affaiblis en 2020, d'être rémunérés à leur juste valeur, et tirer profit du streaming. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.