40 ans plus tard, Madonna est-elle toujours aussi subversive ?

Cela fait bientôt 40 ans que Madonna occupe le devant de la scène. Et elle ne semble toujours pas prête à se calmer, comme le prouve son dernier spectacle, Madame X, récemment mis en ligne. Mais lorsqu’on base sa carrière sur la provocation, est-il possible de rester pertinent en tant qu’artiste sur une aussi longue durée ? La réponse est sans doute plus compliquée qu’elle n’en a l’air.
  • Madonna choque. C’est le ciment de sa carrière, son ADN dirait-on en langage marketing. Après plusieurs années compliquées, elle se fait connaître avec le provoquant Like A Virgin. Elle joue alors sur l’origine de son prénom, surnom italien de la Vierge, en mêlant les références religieuses et érotiques. Un cocktail toujours efficace pour choquer les puritains. De là, la chanteuse devient une illustration des années 80 : libre, matérialiste, frontale. Mais surtout, elle décide très vite de prendre sa carrière en main, produit ses disques, s’implique à chaque étape de ses spectacles. Démontrant rapidement qu’elle n’a besoin de personne, et surtout pas d’hommes.

    Elle incarne alors la première version féminine de l’artiste également doué en affaires. En jouant de la sexualisation de son corps, elle choque ainsi le puritanisme, mais aussi certains courants féministes, qui lui reprochent de jouer le jeu du fantasme masculin. D’autres, à l’inverse, y voient une réappropriation du corps féminin par une femme, et donc une forme d’empowerment. Il semble que, pour Madonna, ce soit avant tout une recherche de liberté : bousculer les codes pour se faire une place, et ne pas la perdre.

    Souvent, elle raconte comment elle a dû batailler pour simplement être prise au sérieux. Pourtant, force est d’admettre que sa rigueur la maintient parmi les stars mondiales les plus rentables et influentes. Et à 63 ans, elle ne perd rien de son énergie. Suite à son dernier album, « Madame X », en 2019, elle entame une tournée du même nom, interrompue par la pandémie. Le concert filmé, récemment mis en ligne sur la plateforme Paramount+, montre bien que sa stratégie est toujours la même. À savoir : provoquer, pour choquer, mais aussi interpeller sur des sujets de société. Le féminisme, donc, mais aussi le racisme ou l’homophobie.

    Mais tout baser sur la provocation, est-ce toujours aussi subversif ? Par certains aspects, Madonna donne l’impression de tourner en rond sur ces sujets. Ses provocations n’étant plus une surprise, elles perdent de leur impact. Ce qui, parfois, n’amène qu’à y voir les excentricités d’une superstar. On peut penser à son récent passage chez Jimmy Fallon, où, jouant l’artiste incontrôlable, elle vante les opiacés et finit par s’allonger lascivement sur le bureau de l’animateur, avant de montrer ses fesses.

    On peut en rire, mais cela paraît forcé, de même que beaucoup de ses posts vaguement trash sur les réseaux sociaux. Depuis les années 2000, elle semble régulièrement dépassée par plusieurs héritières, Lady Gaga en tête, mais aussi Britney Spears pendant un temps, Rihanna, Miley Cyrus, ou plus récemment Dua Lipa, avec qui elle s’est produite en duo.

    Mais quand on y regarde de plus près, Madonna semble également bien plus pertinente qu’il y a dix ou quinze ans. Déjà, le contexte a changé : dans une Amérique post-Trump, et une remontée du conservatisme et de l’intégrisme, la posture sexuelle de Madonna peut à nouveau légitimement incarner une revendication de liberté. Artistiquement, aussi, elle semble enfin sortir du modèle du gigantisme, dans lequel s’engouffrent toutes les superstars. Pour son passage à Paris, plutôt que le Stade de France, elle avait choisi le Grand Rex. Musicalement, on l’a également vue se renouveler via une collaboration avec le désormais incontournable Jon Batiste pour l’accompagner dans des concerts récents (dont un se finissant en pleine rue).

    Mais plus que ces éléments, qui relèvent au fond du détail, il y a un combat où Madonna peut enfin prétendre à une subversion équivalente à celle d’il y a quarante ans. Et c’est celui contre l’âgisme, à l’œuvre partout, mais particulièrement dans la pop. Aujourd’hui, Madonna veut être la preuve qu’à 63 ans, on peut encore exister dans la pop music, et on peut encore revendiquer sa sexualité.

    En 2018, pour ses 60 ans, elle expliquait ainsi : « C’est une idée datée et patriarcale qui veut qu’une femme doive arrêter d’être fun, curieuse, aventureuse, belle ou sexy passée 40 ans. [...] Comment combattons-nous cela ? En résistant aux hommes et en tenant tête aux normes qui nous disent que nous ne pouvons pas. » Tout comme au début de sa carrière, Madonna se sert encore de son corps pour faire passer ses revendications. Et si celles-ci peuvent toujours être taxées d’individualisme, elles pointent malgré tout une question centrale.

    Si les incessantes provocations de Madonna peuvent lasser, elle sait toujours être subversive par certains aspects. Elle résumait toute sa situation en 2016, après avoir reçu le prix de femme de l’année aux Billbord Awards. « Je pense que la chose la plus controversée que j’ai faite est de rester debout. Michael est parti, Tupac est parti, Prince est parti. Whitney est partie. Amy Winehouse est partie. David Bowie est parti. Mais je suis toujours là. » Pour être subversive, il lui suffit donc de rester qui elle est.