30 ans de radio raconté par Fred Musa, l'animateur culte de Skyrock

À l’occasion de la sortie de son livre "Ma Planète Rap", Fred Musa, l’animateur phare de l’émission diffusée sur Skyrock depuis 1996 s’est retourné un moment sur son parcours. Entre des anecdotes croustillantes avec les artistes qu’il a reçus et des souvenirs qu’il garde précieusement dans un coin de sa tête, l’homme de maintenant 45 ans a des choses à raconter sur ce métier qu’il « n’apprécie pas qu’à moitié ».
  • Pourrais-tu me présenter ton background musical ?

    J’ai grandi dans les années 80 et ce que j’écoutais beaucoup, c’était du funk. Tout ce qui est Shalamar, D. Train, Midnight Star… Beaucoup de groupes de Solar Records, un label de Los Angeles. C’était vraiment ma référence. C’est cette musique qui va m’amener vers la radio, puisque ma première expérience va se faire chez Voltage, une station qui ne diffusait que du funk.

    De Voltage, tu es passé à Skyrock ?

    J’ai d’abord fait un petit crochet par une radio associative qui s’appelait Radio Enghien. Après, une ancienne journaliste de Voltage, embauchée chez Skyrock, m’a contacté pour que je rejoigne Sky’. A la base, je ne devais rester qu’une semaine. Ils avaient simplement besoin d’un assistant. Et tu vois, depuis mai 1992, cette semaine n’aura pas vraiment duré sept jours… 

    Comment en es-tu arrivé à lancer la première version de Planète Rap en 1996 ?

    Au moment où le slogan de Skyrock devient « premier sur le rap », la loi de Jacques Toubon vient de passer. Avec cette loi, les radios sont soumises à des quotas de diffusion de chansons françaises. Elles doivent jouer 40 % de nouveaux talents. Et à cette époque-là, la scène qui bougeait était celle du rap. J’ai donc proposé à Laurent Bouneau [le directeur des programmes ; ndr] de faire une émission qui pendant une heure, ne passerait que du rap, français et américain. C’est lui qui a trouvé ce nom, Planète Rap.

    En 1998, Planète Rap épouse la formule encore exploitée aujourd’hui : un artiste débarque en promo chaque soir de la semaine pendant une heure. Quel a été le point de bascule pour lancer ce format ?

    Toujours dans cette idée de développement de la scène émergente, on voyait bien qu’il y avait de plus en plus de productions et de nouveaux artistes. Et pour faire durer dans le temps ces artistes, une heure d’antenne ne suffisait pas. À un moment, Laurent Bouneau a dit qu’on allait en faire cinq heures, réparties sur une semaine. Chaque soir, entre 20h et 21h, les artistes devaient et lâcher des freestyles en direct. À cette époque, on présentait aussi les albums en exclusivité. C’est une chose qui se fait moins maintenant, avec les moyens actuels d’écoutes, etc. Mais vraiment, ce qui est resté la base du concept, c’est ce côté freestyle.

    La première émission de cette nouvelle formule s’est déroulée en janvier 1998. Busta Flex était le premier invité. Tu te rappelles de comment ça s’est passé ? 

    Pas exactement. Mais je me souviens surtout des freestyles. Busta Flex est un rappeur qui excellait dans cette discipline et c’est un des premiers à m'avoir donné une tarte. Il improvisait avec les mots. Il rebondissait d’un mot à un autre… Puis il était parrainé par Kool Shen, l'un de mes artistes préférés. Je suis un grand fan de NTM.

    Tu reçois donc un artiste pendant 5 jours, 1 heure à chaque fois. Comment prépares-tu tes émissions ?

    Il y a un gros boulot en amont avec mon équipe, et notamment avec un petit gars qui s’appelle Fab. Il est plus que mon bras droit, c’est mon cerveau gauche. Grosso modo, on sait à peu près ce qu’on va découper : le lundi on va faire ça, le mardi autre chose, mercredi on va parler de ça et ainsi de suite. Après, on laisse toujours une place à l’impro. Tu ne sais jamais vraiment ce qu’il peut se passer dans l’émission et un sujet peut en amener un autre. Mais sinon, tout est préparé . Puis, en termes de programmation pour les invités, là, on est plein jusqu’en juin. On connaît déjà le planning, même si nous ne sommes pas à l’abri d’annulations ou de reports.

    L’émission existe depuis 25 ans maintenant. Les artistes sont-ils plus demandeurs pour participer qu’à l’époque ?

    Bien sûr : quand je te raconte qu’on est plein pour les six prochains mois… L’engouement a encore augmenté ces dernières années. Il n’y a jamais autant eu de productions et de nouveaux artistes qui arrivent. Ce qu’il faut dire, c’est que Planète Rap est une émission pour ces nouveaux talents. Nous parlons de ces artistes qui viennent pour faire découvrir leurs projets.

    En 25 ans, tu as dû connaître ton lot de bons et de mauvais moments. Tu as des émissions spécifiques que tu gardes en tête ?

    Évidemment, il y a eu celle avec Lomepal, Philippe Katerine et Alkpote qui était juste incroyable. Après, tu as aussi les émissions des freestyles de Jul à Marseille qui sont totalement folles. Je me souviens d’un jour où on s’est retrouvé avec une centaine de Marseillais autour de moi, avec la piscine ! Dans un autre registre, il y a eu le freestyle de Mafia K'1 Fry qui était un moment de tension extrême. Tu avais toute la voyoucratie du 94 qui débarquait. Et puis, toute la partie live que ces mecs ont apporté. Ce sont des souvenirs que j’ai en tête et ils sont gravés.

    Même si Planète Rap a beaucoup aidé la scène émergente, certains artistes ne portent pas l’émission dans leur cœur. Comme Booba ou Nekfeu par exemple.

    Autant Booba, je l’ai vu arrivé gros comme une maison. Et ça ne me gêne pas trop parce que le mec est en mode : « moi contre le reste du monde. Je suis à Miami et je vous emmerde tous ». Mais Nekfeu, cette phrase totalement diffamatoire et honteuse qu’il fait sur l’un de ses morceaux — « Skyrock : pédophile FM, chez nous, y’a personne qui les aime » — je ne l’avais pas vu venir. C’est un gars qu’on a toujours bien reçu, qui à chaque visite me proposait d'écouter ses disques… Je n’ai pas compris le pourquoi de cette attaque sournoise, d’un seul coup, comme ça. Ca ne lui ressemble pas d’ailleurs ! 

    Après tout ce temps, pourquoi écrire ce livre maintenant ?

    C’est une rencontre avec deux personnes. Aline Marrache, celle qui m’a poussé et motivé à faire ce bouquin, et mon éditrice. Au début, souvent, des éditeurs me démarchaient pour que je fasse juste des portraits des artistes que j’avais reçus ; Diam’s, Rohff, Booba… Je ne voyais aucun intérêt là-dedans. Un jour, je parle à Aline Marrache et elle me souffle de vraiment raconter mon histoire et mon parcours. Un parcours qui encore aujourd’hui peut toucher tout un tas de gamins et d’autres personnes aussi. Évidemment, Planète Rap est central et les artistes aussi, c’est normal. Ça fait partie de ma vie… 26 ans de Planète Rap.

    Plus qu’un livre sur le rap, c’est un livre sur toi finalement ?

    C’est vraiment un parcours. Celui d’un petit gamin dont les parents ne sont pas issus du sérail, qui va tout faire pour essayer de vivre de sa passion. Aujourd’hui, modestement, je pense y être arrivé. Même si la route est encore longue, j’espère. Puis, je le dis souvent, mais s’il y a juste un gamin ou une gamine qui tombe sur mon bouquin, qui le lit, et qu’il a une passion au fond de lui, que ça soit la radio ou n’importe quoi… Qu’il ou elle fonce et aille au bout du truc. Que ça marche ou non, au moins, tu auras tenté. C’est vraiment ça, le fil conducteur du bouquin.

    En tant qu’observateur particulier du rap, est-ce tu sens des futures tendances pour cette musique ? On faisait récemment un article sur la fin du 3e couplet par exemple.

    Même s’il y a des contre-exemples comme les albums de Dinos et Dosseh, pour le moment, on est encore vachement là-dedans. Parfois même, certains morceaux ne durent qu’une minute : juste un couplet et plus de refrains. Mais, oui, la musique est clairement un cycle. Au début de l’interview, je te parlais de funk. Et dans les années 60, certaines chansons notamment produites par la Motown à la façon de Be My Baby des Ronettes duraient deux minutes trente. On était déjà sur des formats courts qui avaient pour but d’être joués à la radio. Ensuite, il y a eu d’autres cycles avec des titres plus longs. Donc, oui, évidemment, la musique est un cycle et à un moment donné, on va se retrouver avec quelqu’un dans le rap qui va réussir à lancer un truc et il y aura peut-être de nouveau des morceaux de cinq ou six minutes. On verra ! 

    Crédit photo en une : Leo Delay 

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