2023 M04 3
Il ne faut que quelques secondes pour comprendre qu'avec Blondshell, c'est tout un monde qui remonte à la surface. Avec ses mélodies héritées du rock slacker, ses mots qui laissent au cœur de belles éraflures et ses refrains électriques, la musique de l'Américaine est de celles qui ravivent illico des souvenirs, un peu comme ces visages familiers qui reviennent en tête lorsque l’on repense à ces différents étés qui ont rythmé notre enfance.
En une poignée de morceaux, Blondshell s'impose ainsi comme une énième version de l'ado rebelle. Celle qui écume les heures devant des séries grand public (Veronica Mars) tout en rêvant d'écrire son propre show (« J’ai voulu donner l’impression à l’auditeur d’un visionnage de HBO, ou chaque drame est traité comme un divertissement »). Celle qui noie son mal-être dans des textes débordant d'ironie, de colère et d'humour grinçant. Celle qui, à la manière de Courtney Love, assume sa sexualité et sa marginalité. Coïncidence : « Live Through This » de Hole est son album de chevet.
Soucieuse de ne pas être qu’un simple décalque de son aînée, Sabrina Teitelbaum (dans le civil) débarque avec d'autres références. Plus jeune, dans le New York des années 2000, on dit qu'elle s'est prise de plein fouet Joy Division et le Velvet Underground. On dit aussi qu'elle est fan de Britpop, de The Verve, Pulp, Suede ou Blur, tous ces haut-parleurs du patriotisme britannique capables de raconter les tourments d'une nation en quelques refrains fédérateurs. Enfin, on dit que The Replacements, Imogen Heap et Elliott Smith, dont elle a repris les chansons dans des open mics à Manhattan, lui ont permis de traverser l'adolescence, cette période troublée qu'elle ne cesse de raconter, certaine d'y trouver là un chassé-croisé de sentiments à jamais perdus.
Si Blondshell se trimballe avec autant de références sans jamais faire commerce de la nostalgie, c'est finalement parce que l'Américaine est trop attachée au geste créatif. Il y a d'abord eu des études musicales à Los Angeles, où elle s'est installée à 18 ans, puis les premiers projets : Baum, nettement plus pop dans l'intention. Il y a eu aussi les confinements successifs, au cours desquels Sabrina Teitelbaum a profité de ce temps soudainement offert pour étudier les discographies de Patti Smith ou Kathleen Hanna : délaisser les refrains mélancoliques pour verser dans le rock saturé est alors devenu une nécessité, le seul moyen d'extérioriser ses pensées dévastatrices.
Son premier album, « Blondshell », publié chez Partisan (Idles, Fontaines D.C., Beth Orton), en est sans doute la plus belle des démonstrations : enregistré aux côtés de Yves Rothman (Yves Tumor, Girlpool), ce neuf-titres est autant un énorme clin d'œil aux 90's qu'une clé de bras faite à la technologie à tout-va, autant un besoin de s'adresser à toute une génération qu'un élan vital à dire ses désirs les plus primaires. « Regarde-moi dans les yeux quand je suis sur le point de finir / Je pense que mon truc, c'est quand tu me dis que tu me trouves jolie », chante-t-elle sur Kiss City, la voix remplie de certitudes. À moins que ce ne soit de l'aplomb, une certaine forme d'arrogance nécessaire à ce rock insolent, capable de nous faire croire que l'adolescence dure toute la vie.