Le futur de la pop appartient-il à Yves Tumor ?

Signé chez Warp, programmé à Coachella, soutenu par l’un des producteurs de Frank Ocean ou Rosalía, l’Américain s’apprête à sortir « Praise A Lord Who Chews But Which Does Not Consume ; (Or Simply, Hot Between Worlds) ». Un cinquième album qui, contrairement à ce que laisse prétendre son titre, ne contient aucune longueur.
  • Il existe au moins trois éléments permettant de certifier qu'Yves Tumor est un transformiste, une sorte de caméléon incapable de jurer fidélité à un seul style. Le premier ? L'Américain se nomme en réalité Sean Bowie, à l'instar de la star anglaise qui n'a jamais cessé de se jouer des masques, troquant le clinquant des années Ziggy Stardust pour explorer les abysses une fois arrivée à Berlin. 

    Le second ? Sa façon de s'auto-définir, utilisant les pronoms « il » et « ils », selon une démarche qui rappelle sous certains aspects celle de ses amis (Arca, Mykki Blanco). Le troisième ? Ses nombreux projets qui, depuis 2015, lui ont permis de tout tenter : l'ambient (« Everything Was Beautiful », sous l'alias Teams), la trance (au sein du groupe Bodyguard), les collages sonores (« Serpent Music »), la soul expérimentale (« Safe In The Hands Of Love ») ou le rock (« Heaven To a Tortured Mind »). À chaque fois, ce n'était jamais le meilleur disque du genre, mais c'était systématiquement l'esquisse d'une autre façon de faire de l'ambient, de la trance, de soul ou du rock. Avec, en filigrane, ces multiples clins d’œil au gospel, perceptibles jusque dans les titres de ses morceaux (Heaven To a Tortured Mind  et Gospel For a New Century, par exemple) ou ses paroles, ouvertement spirituelles.

    Cette volonté de brouiller les pistes n'a rien d'un caprice artistique. Chez Yves Tumor, c'est une nécessité, un moyen de prolonger jusqu'à l'extrême une façon de s'offrir au monde, en déclinant systématiquement les demandes d'interviews, en ne donnant que très peu d'informations sur sa vie personnelle, ou en se métamorphosant physiquement à chaque nouveau projet. Malgré tout, l'Américain se doit à présent d'affronter une chose inédite : le succès. Pas celui de Beyoncé ou de tous ces artistes dont les revenus mettent les banquiers en ébullition, mais celui de la reconnaissance critique, des disquaires, des circuits indépendants.

    C'est ce succès-là qu'Yves Tumor se doit à présent de confirmer le 17 mars avec la sortie de « Praise A Lord Who Chews But Which Does Not Consume ; (Or Simply, Hot Between Worlds) » : un disque au titre aussi long que la liste des idées qu’il contient. Parmi les plus belles ? Avoir convoqué Noah Goldstein (Frank Ocean, Rosalía, Drake, Rihanna, Bon Iver) à la production et Alan Moulder (My Bloody Valentine, Nine Inch Nails) au mixage.

    Ce choix de travailler avec des artistes de renom n'est pas anodin : il fait sens avec l'ambition toujours plus grande d'Yves Tumor. À croire qu'il ne s'agit plus pour lui de s'affirmer comme un artiste, ni d'imposer une certaine approche de la musique, mais bien de marquer l'époque.

    « Praise A Lord Who Chews But Which Does Not Consume ; (Or Simply, Hot Between Worlds) » est peut-être trop abstrait, trop spirituel ou tout simplement trop complexe pour se ranger illico dans la case des albums qui s’écoutent facilement et déchainent les foules, mais force est de constater qu'il déploie un monde fascinant, foisonnant, où chaque parole, chaque note, chaque titre fait figure de mot de passe pour comprendre un peu mieux son auteur. Ça peut paraître peu. C'est déjà beaucoup.

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