Fontaines D.C. : "Est-ce qu’on en a marre du post-punk ? Oui, à 100%"

Conor Deegan, le bassiste du groupe irlandais de retour avec un troisième album phénoménal (« Stinky Fia »), s’est posé avec Jack pour raconter la face sombre de ce disque, tout en évoquant l’avenir avec sérénité.
  • « Skinty Fia », c’est la continuité de « A Hero’s Death » ou plutôt une réaction à ce deuxième album ?

    Conor Deegan : Clairement, une réaction. Notre deuxième album allait dans plusieurs directions et sur « Skinty Fia », on voulait avoir un tout plus cohérent sur le plan musical. Sur les thématiques de l’album, on est plus dans la continuité avec l’exploration de thèmes sur l’identité irlandaise. C’est aussi un disque beaucoup plus sombre. On se pose beaucoup de questions sur la manière dont on peut s’intégrer dans ce monde, et comment on tire un sens à tout ça. Avec « Dogrel » (2019), on était sur une romance de Dublin, et ce que cette ville signifiait pour nous. Avec « A Hero’s Death » (2020), on se sentait déconnectés de cette ville puisqu’on était en tournée et sur la route. Et maintenant, on vit tous à Londres et on réfléchit à ce que ça signifie d’être irlandais ici.

    Vous en avez un peu marre du rock ?

    Je dirais oui, mais pas de tout. Il y a plein de musiques basées sur des guitares qu’on adore : Lee Hazlewood, on peut dire qu’il y a des guitares et c’est incroyable. Mais est-ce qu’on en a marre du post-punk moderne ? Oui, à 100%. On est dans une phase de saturation. En 2019, on a passé pas mal de temps sur la route à jouer dans des festivals et on a vu énormément de groupe de ce genre, au point de finir par faire une overdose. Pour protéger notre « santé mentale musicale », on s'est mis à écouter des groupes comme Beach House, Girls et des ballades plus douces.

    Et la tentation d’aller justement vers un son plus pop, elle vous a traversée l’esprit ?

    Non, mais on essaie d’avoir quelque chose d’équilibré. On ne veut pas être trop bizarre ou expérimental juste pour changer de son ou se réinventer. Il y a des chansons comme Love is The Main Thing ou Living in America sur « A Hero’s Death » que je considère comme très expérimentales. Jackie Down The Line est surement notre morceau le plus « pop », le riff de guitare reste en quelque sorte en tête.

    C’est la raison qui vous a poussé à le sortir en premier ?

    C’est une chanson plutôt marrante dans le sens où on l’a écrite de manière accidentelle. Il y avait une autre composition que Curley (guitare) et Grian (chant) avaient écrite, une chanson style sixties mais très sombre. Avec Tom (batteur), on avait le pont et finalement ce pont, c’est devenu un couplet de Jackie Down The Line. On l’a choisie comme premier single car c’est une chanson concise. C’est aussi le bon thème pour présenter un disque comme « Stinky Fia » puisqu’elle parle du fait d’être irlandais. Pour moi, les paroles « so come on down to Sally's boneyard », ça veut dire « viens écouter notre album ».

    « Autant jouer les vieilles chansons que les gens aiment sur scène au lieu de continuer à faire des disques pourris. »

    Quelle est l'ambition avec « Skinty Fia » ? 

    J’ai du mal à imaginer qu’on puisse faire moins bien que notre deuxième album, et donc faire un pas en arrière. Aussi, à cause de la pandémie, on n’a pas vraiment pu tourner avec « A Hero’s Death » alors que là, les concerts ont repris. On va pouvoir mieux le promouvoir et le défendre. 

    Tu t’imagines encore avec Fontaines D.C. dans 15 ans, à faire des disques et partir en tournée ?

    Ouais, assez facilement. Je ne voudrais pas qu’on continue à faire de la musique si celle-ci devient à chier par contre. Autant jouer les vieilles chansons que les gens aiment sur scène au lieu de continuer à faire des disques pourris.

    C'est quoi ta chanson préférée de l’album ?

    J'adore Nabokov, c'est une chanson qui a différentes couleurs et textures. De manière générale, j’ai cherché à apporter un aspect lugubre et sombre sur les chansons de l'album, elles avaient besoin de s'assombrir. Il y avait par exemple une démo de Bloomsday qui était très légère et joyeuse. Je détestais ce morceau. J'ai joué de la basse comme si je n'avais aucun respect pour cette chanson — c’est presque un truc d'ado, j'avoue. Bref, pour la première fois de ma vie, j’ai joué en faisant de la « slap-bass » et ça fait un son destructif qui a bien fonctionné avec le morceau. En essayant de le dégrader, on a réussi à l'améliorer, ce qui est plutôt productif. 

    Vous avez le sentiment d’avoir trouvé votre style ?

    Sur les autres albums, on recherchait une identité, et on commence à la trouver avec ce disque. Mais en même temps, on est tiraillés entre l'envie d'affirmer cette identité et l'envie de tout envoyer péter, d'une manière. On voudrait faire plus de musiques comme celles de « Stinky Fia », mais ça dépendra des prochains morceaux qu'on écrira. Sinon la suite, c'est de jouer un maximum de concerts et obtenir un prêt immobilier pour acheter une maison. C’est pas sexy, mais c'est la réalité.

    Pour relire la chronique de l'album, c'est par ici.

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