2022 M10 19
Au bout d’un moment, Emmanuel Alias, 31 ans, en a eu marre. Marre de composer pour les autres. Marre de bosser sur des séries et des films. Alors il a créé un personnage fictif, Jozef, son alias. Et à travers lui, il peut explorer toutes ses émotions. Après un premier EP en 2021, voici le premier album, sobrement intitulé « Jozef ».
C'est un objet hybride qui rappelle les meilleurs jours de Beck et Eels, le talent de Ty Segall et la folie de Thee Oh Sees. Mais qui garde en tête les codes efficaces de la pop, histoire de maintenir une forme de cohérence. Bref, « Jozef » fait partie des disques de l’année. Déjà parce qu’il arrive par surprise pour caresser et malmener les oreilles. Et parce qu’il parvient à trouver le juste équilibre entre les styles, les influences et les émotions pour toucher là où il faut : droit au cœur.
Comment est né ALIAS ?
Emmanuel Alias : J'aime bien explorer plein de styles. Depuis tout petit, j'écoute du rock, souvent des trucs que mes parents écoutaient comme Van Halen, Led Zep, etc. J'avais un walkman et une batterie électronique et j'ai débuté la musique en tapant comme un fou. Avec ALIAS, j'avais envie de revenir à mes débuts. Mais les grosses claques musicales que je prends plus jeune, c'est plus dans le jazz que dans le rock, avec Duke Ellington ou encore Billie Holiday. J'ai fait dix années de conservatoire en batterie. Ça m'a permis de comprendre le langage, le vocabulaire et l'échange dans le jazz.
Et dans le rock ?
Dans le rock, j'aime de plus en plus ce qui est dark et le psyché. Je suis impressionné par des mecs comme Ty Segall ou comme John Dwyer (Thee Oh Sees) car ils explorent tout. Tu écoutes le premier album de Segall et son disque « Harmonizer » de 2021 qui est plus modulaire, tu vois des évolutions. Le psyché offre justement le contraire du couplet-refrain-pont qu'on entend souvent. Mais même si je m'efforce de faire des chansons psyché, je me retrouve toujours à faire de la pop.
Dans l'album « Jozef », il y a beaucoup de variations au sein même d'une chanson. Comment tu abordes la conception d'un morceau ?
Je fonctionne avec des images, par exemple une photo, quelque chose que je vois dans la rue, une action dans un film, un souvenir, etc. Les mélodies naissent quand j'essaie de retranscrire en musique ces images-là. Il y a donc plusieurs influences qui se dégagent de là qu'un style en particulier. Et j'aime bien quand, dans une chanson, il y a une cassure, une chute ou un changement d'atmosphère. Dans mon processus de création, je cherche plein de textures, je cherche à créer des ponts pour que l'oreille s'habitue vite. Donc il ne faut pas trop d'informations musicales à la fois pour éviter la saturation.
Quel morceau représente le mieux l'album ?
Je dirais le premier morceau, The End (Part 2). Avec ce titre, on ne sait pas trop où on va aller, il y a de la flûte, un arpégiateur, mais on n'arrive pas à cerner dans quelle époque on se trouve. La double batterie entre en scène puis le morceau se termine d'une manière plus punk et garage. Le but est de semer le doute. Et ça montre aussi les trois états d'âmes du personnage de Jozef.
Jozef, c'est qui ?
C'est un avatar, c’est une personne qui vit ses émotions à 100%. Je me sers de lui pour écrire car je pars d'une image, qui est souvent liée à une émotion, et je vais utiliser Jozef comme acteur pour l'interpréter. Je suis un peu lâche : je me dédouane des répercussions. C'est comme quand tu joues au Sims : tu peux être qui tu veux mais ça reflète un trait de ton caractère. Jozef et cet album, ce sont un peu mes Sims à moi.
Il y a quelque chose qui m'a manqué sur ce disque, ce sont les solos...
Je me suis mis des règles de composition et d'efficacité sur ce disque. C'est clairement anti rock psyché et anti transe, mais là j'avoue que j'ai exploré des formats plus pop.
Le rock, c'est toujours excitant en 2022 ?
Je vois le rock comme un vieux Levi's 501 : ça ne disparaîtra pas. Même si ce style est parfois un peu à la ramasse, il y aura toujours des artistes pour venir réinventer ce genre ou collaborer afin de le faire évoluer.
Crédits photos :@Marina Viguier