2022 M04 1
Sans doute n’était-ce qu’une question de temps avant que les Red Hot ne se reforment en studio, qu’ils accordent une suite à « The Getaway » et ne se contentent plus uniquement de donner des concerts selon des cachets aptes à donner des sueurs froides. « Unlimited Love » est donc l’album des grands retours : celui de John Frusciante, après seize ans d’absence discographique, de Rick Rubin, engagé ici à la production (là où le disque précédent s’aventurait dans le son kaléidoscopique de Danger Mouse), du débit frénétique d’Anthony Kiedis et de ces mélodies aussi dynamiques que fédératrices et sensibles.
Dynamiques, parce que l’âge cumulé des quatre comparses (231 ans) n’est pas un frein aux rythmiques fougueuses. Fédératrices parce que, tels de vieux hippies perchés, ils ont déclaré vouloir « élever, connecter et rassembler les gens ». Sensibles, parce qu’elles ont l’humilité de se souvenir de celles qui les ont précédées, et qu’elles ne virent pas pompeuses. Loin de s’en remettre uniquement aux tubes - ce que sont clairement She's a Lover et It's Only Natural -, l’ensemble vaut comme un manifeste de l'esthétique Red Hot : on y entend la basse complexe de Flea, les triturations de Frusciante, la batterie syncopée de Chad Smith, le groove funky et ce souffle qui, malgré l'âge, continue d'être aussi pertinent.
Tout l’enjeu se situait donc là : ne ressembler à personne d’autre qu’eux-mêmes, mettre en évidence leur touche si caractéristique. Ça et là, l’objectif n’est pas toujours réussi, l’album menace à plusieurs reprises de devenir litanique à l’oreille comme si les Red Hot se contentaient d'empiler les idées et les symboles. Sauf que les Californiens sont précisément à leur meilleur quand ils ne jouent pas les architectes, lorsqu'ils avancent sans calcul, sans chercher à ériger une forteresse tout entière dédiée à leur gloire.
C’est là tout le paradoxe de « Unlimited Love » : composé en totale impro, le disque donne l'impression d'être méticuleusement pensé, de cocher des cases. Ce qui n'est pas un drame (avoir une identité forte, c'est déjà une force, n'est-ce pas ?), mais cela rend légèrement prévisible certaines intentions, quitte même à rendre peu surprenantes les paroles d'Anthony Kiedis, pourtant peu avares en idées farfelues - il faut l'entendre chanter à propos du trafic à Los Angeles, de son rêve de voir les singes se déplacer librement ou de ses délires sexuels (« S'il te plaît, mon amour, puis-je avoir un avant-goût ?/Je veux juste lécher ton visage ») pour comprendre que le mec est aussi perché qu’un dialogue fictif entre Van Damme et Mickey dans Snatch.
Près de 40 ans après leurs débuts, les Red Hot ont néanmoins le mérite d'amener quelques idées fraiches, comme ces sonorités psychédéliques sur The Great Apes, ce déluge de cuivres sur Aquatic Mouth Dance, cette teinte romantique sur Not The One (un clin d'œil à Otherside, déjà produit par Rick Rubin ?), ou ce refrain assuré par John Frusciante sur The Heavy Wing (l'une des belles surprises du disque). On n'avait plus entendu pareil évènement depuis Dosed, en 2002, et la magie opère une nouvelle fois. Peut-être parce que le guitariste est la caution « expérimentation » de la bande (rappelons qu’il a exploré le post-rock, l’IDM et l’acid house ces dernières années), qu’il a toujours cherché à proposer un son qui ne soit pas simplement réconfortant, qu'il a systématiquement su emmener ses potes sur d'autres terrains, toujours aussi solaires en surface, mais nettement plus arides en sous-sol.
« Chacun des titres de cet album est une facette de nous-mêmes et montrent notre vision du monde. » À défaut d'être surprenant, « Unlimited Love » a au moins le mérite de circonscrire la large palette des Red Hot - ici, un rap-rock que pourrait jalouser Gorillaz (Poster Child), là des guitares nerveuses (Theses Are The Ways) ou progressives (Whatchu Thinkin'), et un hymne de stade (Black Summer, soit le 14e n°1 de la bande au Billboard) -, tout en chantant des thèmes rappelant à quel point l’amitié et l’amour peuvent apaiser les esprits en ces temps troublés.
Dès lors, qu'importe que ce douzième album soit sans doute moins génial et puissant que les disques sortis au croisement des années 1990-2000 (« Californication », « By The Way », « Stadium Arcadium »), il demeure traversé par cette maîtrise mélodique : celle qui fait que, même si « Unlimited Love » ne risque pas de figurer dans le haut des classements en fin d'année, il provoquera toujours un peu de plaisir (et de nostalgie) à chaque réécoute.