Que vaut “Mythologies”, le premier album de Thomas Bangalter ?

Deux ans après avoir mis un terme à l’aventure Daft Punk, Thomas Bangalter, la moitié du duo, se risque pour la première fois à un album solo : soit la bande-son d'un ballet d'Angelin Preljocaj où le Français remplace les notes électroniques par des cordes, des violons et des orchestrations du plus bel effet.
  • Voilà plusieurs années que des adeptes de l'électronique rappellent que le classique n’a pas à être cette musique rondement menée par et pour des gens dits de bon goût, satisfaits d’eux-mêmes. Au travail de réappropriation entrepris par Jeff Mills, Christian Löffler, Thylacine ou encore Max Ritcher et Pedro Winter, il convient d’ajouter désormais celui de Thomas Bangalter, dont le sens du contrepied et du détournement n'est plus à démontrer.

    Présenté comme « une production sur les mythes fondateurs qui façonnent l'imaginaire collectif », « Mythologies » ne pouvait toutefois pas être plus éloigné de ce que proposait le Français avec Daft Punk. Aucune trace de tubes ici, simplement des symphonies qui flattent l’oreille, des envolées instrumentales, des moments de grâce et de délicatesse infinis.

    Il y a évidemment l'envie de se mettre en danger en s'attaquant ainsi à un tel répertoire. Est-ce là le caprice d'un artiste en quête d'une caution sérieuse ? L'opus magnum d'un producteur qui se pense capable de ralentir la course folle du monde en s'éloignant des charts pour flirter avec l'univers du ballet, découvert grâce à sa mère, ancienne danseuse contemporaine ? L'échappée définitive vers une musique d'auteur, si tant est que cette musique existe ? Ou tout simplement un exercice de style, le pur kif d’un compositeur qui assume son goût pour les orchestrations baroques ?  

    Toujours aussi discret en interview (voir la seule interview française accordée à Léa Salamé, ci-dessous), Thomas Bangalter laisse planer le mystère. Ce qui n'empêche pas d'avancer quelques certitudes : oui, « Mythologies » est une prise de risque lorsqu'on produit sous un tel nom une musique dépourvue de notes électroniques, sans attaches avec les genres actuellement dominants ; oui, ces 23 compositions dévoilent un nouveau versant de sa mélomanie, clairement redevables ici aux compositeurs venus d'Europe de l'Est (Sergueï Prokofiev, Igor Stravinsky) ; oui, l'ambition de « Mythologies » était de donner vie à une musique nettement plus impressionniste, presque romanesque par endroits. Pas pour rien, finalement, si le premier extrait envoyé en éclaireur il y a quelques semaines se nommait L'accouchement.

    Si « Mythologies » incarne une audace artistique que les plus conservateurs des fans de Daft Punk ne lui pardonneront sans doute pas, cet album rappelle aussi à quel point Thomas Bangalter est un touche-à-tout : rap (113), pop (Arcade Fire, Kids Return), techno pure et dure (les sorties du label Roulé), le Français témoigne d'une réelle aptitude à tenter des coups, de même qu'à appuyer systématiquement sa création sur des concepts.

    Car, oui, « Mythologies » est sans doute un poil trop long, peut-être trop pesant par moments, mais il fascine sur plusieurs points : la beauté de ses mélodies, la profondeur de ses motifs qui incitent à l’abandon, et la façon qu'il a de figer le temps, de reconnecter l’auditeur à une époque, pas si lointaine, où un seul disque pouvait occuper l’espace du salon durant plusieurs mois. En somme, ce disque désarçonne, intrigue, console, et c’est déjà quelque chose. Et comme on sait depuis longtemps qu'il existe une vie après le rock, on peut désormais dire qu'il y a une vie après les Daft Punk.

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