2021 M03 4
On est le 5 mars 1971, au Ulster Hall de Belfast en Irlande du Nord. Le pays, depuis 1969, a entamé ce qui va être 30 ans de conflit avec l’Angleterre (le « Bloody Sunday » aura lieu en 1972). Quelques stars de l’époque, comme T-Rex, refusent même de jouer dans la capitale. Pas Led Zeppelin qui monte sur scène sans rechigner.
Mieux, ils offrent aux Irlandais du Nord un cadeau : Stairway To Heaven. Ce soir-là, la troupe à Jimmy Page se lance, pour la première fois de sa carrière, dans les premières douces notes médiévales de la chanson qui va définir le rock durant les prochaines années à venir. Dans la fosse, un jeune de 18 ans, qui deviendra journaliste, se souvient du concert : « nous n’avons pas aimé le morceau, il était trop lent pour nous. Ça ne ressemblait pas à Led Zeppelin, en tout cas pas jusqu’à la fin et le fameux riff qui entrera dans l’histoire » a écrit l’homme en 2008 pour le Belfast Telegraph. Un sentiment partagé par John Paul Jones plus tard : « Ils s'ennuyaient tous à mourir en attendant d'entendre quelque chose qu'ils connaissaient ».
Normal que les fans n’aient pas compris : avec Stairway To Heaven, Page voulait un morceau que l’on puisse fredonner, un tube, selon Chris Salewicz, auteur du livre Jimmy Page : The Definitive Biography, « que les femmes pourraient apprécier » (sic). Bref, une chanson à l’opposé de Whole Lotta Love ou Communication Breakdown. L’idée de ce morceau trottait dans la tête de Jimmy depuis plusieurs mois. Il en avait déjà parlé en avril 1970 au magazine NME, sans vraiment entrer dans les détails : « j'ai cette idée d’un très long morceau sur le prochain album… nous voulons essayer quelque chose de nouveau avec l'orgue et la guitare acoustique qui se terminent vers l’électrique. »
Un an plus tard à Belfast, ces mots prennent vie, et Stairway To Heaven comporte tous les éléments orgasmiques qui font qu’une suite d’accords devient l’une de plus belles choses au monde. Pour la jouer sur scène, et réussir à rester fidèle à la structure du morceau, Page utilise sa fameuse « double-necked guitar » (avec deux manches) pour osciller entre la six et la douze cordes, faire les solos, etc. Le seul reproche des fans ? Les paroles, pompeuses, vaguement bucoliques (les arbres, les oiseaux qui chantent, la fumée) et trop mystérieuses.
20 ans plus tard, en 1991, la chanson de 8 minutes a été jouée 2 874 000 fois à la radio, ce qui représente, au total, 44 années de diffusion radiophonique. On dit qu’en la jouant à l’envers, on entendrait des paroles sataniques. Les magasins de guitares accrochaient des panneaux interdisant aux musiciens de la jouer quand ils essayaient une gratte. On dit aussi, dans les pages du Guardian, que sans elle, Supper’s Ready de Genesis, Child in Time de Deep Purple ou encore Dream On d’Aerosmith n’existeraient pas. Bref, le morceau est partout, dans toutes les têtes.
Il occupe aussi l’espace médiatique pour d’autres raisons. En 2014, Michael Skidmore, ancien membre du groupe Spirit, s’est lancé dans une bataille juridique pour prouver que le légendaire groupe de rock avait copié l’un de leurs morceaux sorti trois ans avant Stairway To Heaven : Taurus, une piste instrumentale sortie en 1968. En 2020, après six ans de suspenses et plusieurs enquêtes, la cour d’appel de San Francisco a tranché : il ne s’agit pas d’un plagiat. Cela veut dire qu’elle peut continuer son chemin vers les cieux.