2023 M11 27
Pour comprendre pourquoi Snoop était déjà attendu au tournant avant même la sortie de son premier album, il faut remonter un peu en arrière. Au début des années 90 aux États-Unis, la côte Est du pays regroupe parmi les meilleurs rappeurs, du genre Notorious B.I.G, Nas, A Tribe Called Quest ou encore De la Soul. Mais en Californie, les MC’s ne l’entendent pas de la même oreille. Notamment Dr. Dre, aussi membre de NWA, qui prépare son premier album solo. Andre Romelle Young a deux grosses envies. La première est de continuer à saigner le créneau du gangsta rap de NWA. Le deuxième ? Le faire avec groove, en samplant des gros disques de funk des années 70 et 80 comme ceux de George Clinton, que ce soit en solo ou avec Parliament-Funkadelic.
Pendant que Dr. Dre commence à bosser sur ce qui deviendra « The Chronic », Snoop Dogg — qui est le neveu de Bootsy Collins, une légende du funk US — est dans un groupe avec Nate Dogg et Warren G, qui est également le demi-frère de Dr. Dre. Les deux finissent naturellement par se rencontrer. Sans surprise, c’est un match musical. Sur les seize morceaux de l’album du docteur, Snoop est présent sur huit d’entre eux, et notamment sur les singles Nutin But a G Thang et Dre Day. Mieux qu’un tremplin, Dre offre à Snoop une rampe vers la gloire car « The Chronic » est un énorme carton. Et en 1993 aux USA, tout ce qui se rapproche de près ou de loin au label Death Row Records est scruté par les fans de hip-hop.
Après « The Chronic », Snoop se lance dans l’enregistrement de son premier album. Ça prend du temps, car en studio, lui et son équipe aiment s’amuser. On parle de filles en petite culotte qui servent des cocktails, de prostituées qui traînent dans le coin, de pas mal de drogues — des éléments qui ralentissent la production du disque. Mais à l’évidence, ce jeune rappeur est bourré de talent, et son flow décomplexé fait mouche.
Snoop Dogg creuse le sillon de « The Chronic » mais réussit à installer, sur ces treize morceaux, une vibe et un style unique. Surtout quand arrive Who I Am (What’s My Name), avec ce sample magique d’Atomic Dog de George Clinton, qui fait résonner son nom dans les stéréos du monde entier. Gin & Juice est un autre moment fort de l’album, qui au lieu de raconter la vie dure de la rue, montre un aspect plus « laid back » de la street où les gens font la fête, boivent, et passent du bon temps. On pourrait aussi citer Tha Shiznit (avec ce sample de flûte) ou Murder Was The Case, mais il faut se rendre à l’évidence : avec « Doggystyle », Snoop balance un monument de la G-Funk. Dès la première semaine, l’album se vend à plus de 800 000 exemplaires.
Trente ans plus tard, il paraît difficile de ne pas « revisiter » cet album sans le contextualiser avec les mœurs de 2023. Les paroles très crues et misogynes de Ain’t No Fun (If the Homies Can’t Have None) par exemple, où les femmes ne sont que des objets sexuels, sont ancrées dans une autre époque et n’ont plus la même résonance aujourd’hui.
En 1993, il y a trois éléments majeurs qui permettent à ce disque de toucher sa cible. Déjà, les auditeurs découvrent un nouvel artiste avec un style jamais vu auparavant. L’authenticité des paroles et de la vie dépeinte dans les paroles, même si certains passages sont clairement misogynes et irrévérencieux, donne un tampon à l’album. Et la production de Dr. Dre, qui donne l’envergure au disque. En 1993, Snoop est aussi accusé de complicité dans le meurtre d'un membre de gang. Le tribunal finira par acquitter le jeune rappeur, mais cet aspect-là, celui d’un vrai gangster, est aussi une image qui fait vendre. Et l’industrie musicale sait appuyer là où il faut pour faire décoller les ventes — l’histoire de la pochette de l’album vaut aussi une lecture attentive. Bref, avec « Doggystyle », le rappeur prend les commandes du rap west coast. Et trente ans après, et même s'il a fait croire qu'il avait arrêté la fumette, on peut dire que Snoop ne les a toujours pas lâchées.