“Fuse” : le nouvel album d'Everything But The Girl est ce dont le monde avait besoin

Sans nouvelles du duo anglais depuis 1999 et l’acclamé « Temperamental », Tracey Thorn et Ben Watt réussissent brillamment leur retour : « Fuse » est typiquement le genre d'album que l'on n'espérait plus et qui se révèle être dès la première écoute précisément ce qui nous manquait.
  • Au regard des hauts faits de certaines de leurs idoles, Tracey Thorn et Ben Watt paraissent bien sages : The Clash cassait des guitares sur scène, les Buzzcocks consommaient tellement de coke qu’un simple éternuement aurait suffi à repeindre Manchester en blanc, les punks de X-Ray Spex préféraient se raser la tête plutôt que de devenir des sex-symbols. Pour Tracey Thorn, il y a bien eu l'époque Marine Girls et ces concerts en forme de furie générale, tellement intenables que le groupe a fini par créer des envies de débauche chez Kurt Cobain, Courtney Love et James Murphy. Mais le duo qu'elle forme depuis près de 40 ans avec son compagnon est éminemment plus sage : le premier 45-tours d'Everything But The Girl, pour rappel, était une reprise de Cole Porter (Night and Day), privilégiant la bossa nova ou le jazz aux synthés et aux guitares nerveuses qui composaient alors la bande-son de l'époque.

    Pourquoi un tel rappel historique ? Parce qu'il faut bien comprendre dans quel héritage s'inscrit « Fuse ». Parce que ce bref coup d'œil vers le passé permet de saisir à quel point Everything But The Girl a toujours préféré le retrait, la discrétion, la retenue, y compris quand le grand public venait s'emparer des morceaux du duo - notamment le fameux remix de Missing pensé par Toddy Terry.

    Peut-être aussi que se replonger dans la discographie des deux Britanniques est encore le meilleur moyen de poser une certitude : oui, on peut être sage et téméraire, reclus tout en étant ouvert à l'inconnu. Écouter « Baby, The Stars Shine Bright » (1986), « Idlewild » (1988) ou « Amplified Heart » (1994), c'est ainsi passer des symphonies et des boîtes à rythmes à une sorte de folk électronique. Seule constante : cette voix éplorée, douce, rassurante, faite pour danser le cœur triste.

    « Kiss me while the world decays/Kiss me while the music plays », clame le premier single (Nothing Left To Lose), comme si Everything But The Girl, même après 24 ans d'absence, n'avait pas changé d'ambition. Comme si Ben Watt et Tracey Thorn n'étaient jamais aussi épanouis que dans ces dédales, dans ce chaos qu'ils tentent de rendre plus comfortable. Sur un single de Massive Attack, daté de 1995, cette dernière chantait son désir de « protection » : « Fuse », c’est exactement ça ; un disque qui réconforte, y compris quand cette voix pure de toute intervention technologique chante les drames profonds, ceux qui bouleversent des vies. « I lost my mother », répète-t-elle à plusieurs reprises, moins par envie de créer un malaise que de s'offrir un bref moment de soulagement.

    Après tant d’années de retrait, on aurait pu craindre que « Fuse » ne soit qu’une sorte de best-of bancal, une compilation hasardeuse et mal agencée d’idées laissées de côté depuis un certain temps. À l’écoute de ces dix morceaux, moins tournés vers le dancefloor que ne pourrait le laisser penser Nothing Left To Lose (pas un hasard si Four Tet ait décidé de s’emparer d’un tel tube !), on trouve en fait une œuvre cohérente, plutôt fine même, mais surtout profondément vivante.

    Derrière les idées noires, les ballades mélancoliques et ces mélodies ombrageuses, Run A Red Light, No One Knows We’re Dancing ou Lost ne représentent en effet jamais une menace pour l'optimisme. On pourrait même dire qu'il y a dans ces chansons, qui s'autorisent le silence, la respiration, suffisamment de pureté pour rendre la vie plus intense, plus acceptable. « Donne-moi quelque chose à quoi je peux m'accrocher pour toujours », dit le refrain de Forever. Il faudra évidemment voir comment ce onzième album traverse les époques, mais avec « Fuse », EBTG vient potentiellement de nous offrir ce « quelque chose ».

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