Freeze Corleone est-il le rappeur le plus technique de France ?

Invité par "Colors" à balancer un inédit, le Franco-Sénégalais n’en finit plus d’étonner avec un univers qui ne cesse de gagner en consistance ces derniers mois. Portrait d'un rappeur prêt à « grailler la concurrence comme une entrecôte ».

Les années passent et le buzz autour de Freeze Corleone ne cesse de s'accentuer. Derniers exemples en date ? Une session Colors vue plus de 400 000 fois en même pas 24 heures, mais aussi un featuring avec Alpha Wann à venir prochainement, qui semble d'ores et déjà affoler les amateurs de rap technique, adeptes des rimes multisyllabiques, des placements de voix judicieux et des gimmicks singuliers.

Malgré toute cette attention, le rappeur du 667 (Zuukou Mayzie, Kix Kaki, Ekip, anciennement Jorrdee et Lala &Ce) n'en délaisse pas les aspects les plus immédiatement fascinants de sa musique : à chacun de ses morceaux, le flow est précis, la production est toujours sombre et planante, en phase avec les tendances actuelles (de la trap à la drill) et les textes, en dépit d’une utilisation trop fréquente du style comparatif, fascinent par leurs références, leur complexité et leur ésotérisme - à tel que point que Freeze Corleone en personne prend le temps d’en expliquer le sens sur Rap Genius.

Petit rappel des épisodes précédents : Freeze Corleone, les plus attentifs apprennent à le connaître en 2014 avec une mixtape spécial Noël (« 66.7 Radio »), font de lui un nom que l'on aime se refiler entre puristes au fur et à mesure des projets et ne peuvent inévitablement plus le garder pour eux fin 2018. C’est-à-dire au moment de la sortie de « Projet Blue Beam », un album salué de toutes parts, qui débute ainsi : « J'porte pas de Philipp Plein / Chen Zen aka Philipp Lin / Même pas faya après 4 phillies pleins. » Soit des homophonies, des références à la mode, des mots d'argot et des clins d'œil appuyés à ses différents pseudos (Chen Zen et Philipp Lin), tous les deux hérités de la pop culture (Bruce Lee, Pokémon, etc.) et du monde de la drogue ; une de ses mixtapes s’appelait d’ailleurs « THC ».

Tout se passe en réalité comme si Freeze Corleone passait son temps à analyser chaque ligne du grand livre de la culture pop, dévorant les pages consacrées aux mangas, parcourant en zig-zag l'histoire des différentes mythologies, prenant des notes lorsque survient le hip-hop américain et surlignant au Stabilo les pages consacrées aux politiques actuelles.

Depuis quelques mois, Freeze Corleone, c’est surtout quelques classiques, souvent rappés dans un état second : Welcome To The Party, son hommage à Pop Smoke, Qui-Gon Jinn, peut-être l’un des morceaux drill les plus aboutis sur le territoire français, des duos relativement bien ficelés (avec Alkpote ou Veerus) ou encore Baton Rouge, qui canalise presque à lui seul les obsessions de Freeze Corleone, partagées entre des évocations à ses années canadiennes (« Dès que j'pose un pied à MTL / J'appelle Sero pour qu'il m'sorte du lin du Canada »), des théories du complot, des mentions à différents chefs d’États, scientifiques ou footballeurs, ainsi que des références cryptiques à la drogue et des propos finalement plus engagés qu'on ne pourrait le penser (« 20-18 en Libye, ça bibi des nègres à 150k »).

Tout cela en à peine trois minutes et trente secondes, qui contiennent donc bien plus de détails, d’idées et de rimes occultes (Qui n’a jamais été checker sur Google après avoir écouté un de ses titres ?) que dans n’importe quel autre morceau de rap français. On sent alors que Freeze Corleone, plébiscité par Vald et une bonne part de la scène hexagonale, a récemment franchi un cap. À moins que ce ne soit le public qui ait appris à se familiariser avec sa radicalité, son style de rimes si singulier et ses morceaux qui prennent encore plus de sens lorsqu’ils sont consommés l’esprit en vrac, anesthésié par une consommation régulière de lean. Pendant ce temps, l'intéressé continue d'évoluer à l'écart de tout ce brouhaha, refusant les interviews et arpentant l'industrie « comme un satellite ».