Faites-vous à l’idée : "La Kiffance" de Naps est le titre le plus écouté de 2021

Comment un titre qui parle de « faire un p'tit pétou sur le Mont Fujiyama » et de « fumer un gros joint devant la Défense » est devenu le tube absolu de l'année ? Grâce à un vocabulaire actuel, des codes à la fois street et populaires, et un refrain obsédant qui, qu’on le veuille ou non, prend le contrepied d’une époque en manque légèreté.
  • Inutile d'avoir un doctorat en musicologie pour comprendre que les rapppeurs, ces derniers mois, sont revenus à des morceaux plutôt sombres, connectés avec l'amertume d'une époque en bout de course. « Avec le confinement, et la fermeture des lieux de fête qui va avec, c'est comme si on avait fini par se dire que ça ne servait plus à rien de faire des titres dansants », nous confiait récemment Niska, dont le dernier projet, « Le monde est méchant », flirte constamment avec le hardcore.

    Cette volonté de retourner vers des morceaux très rappés, portés par des 16-mesures et un amour plus prononcé pour la technique, n'a en rien mis un coup d'arrêt au hip-hop français, qui continue de truster les premières places des morceaux les plus écoutés de 2021. À observer le bilan des trois plus grandes plateformes (Apple, Deezer, Spotify), c'est pourtant le même titre, enjoué et festif, qui truste la première place : La kiffance de Naps, dont l’année aurait pu être parfaite si elle n’avait pas été entachée par une accusation de viol en octobre dernier.

    À lui seul, le rappeur marseillais vient donc donner tort à Niska, Dinos, Ziak, Laylow et tous ces rappeurs nettement plus tournés vers des textes introspectifs en cette année covidée. À l’entendre, c'est justement cette période troublée qui expliquerait le succès de son single : « Il est simple et, après le délire du Covid et le confinement, c'est un son qui fait un peu voyager », expliquait-il cet été à BFM.

    À l'image de ce que prétend son titre, La kiffance est donc sans surprise un morceau tout entier tourné vers la notion de plaisir, symptomatique d'une génération de rappeurs qui n'a plus aucun tabou à revendiquer son amour pour les chansons populaires. La ligne mélodique ne trompe personne, brouillant de fait les définitions de la pop, de la street et des classes sociales à même de s'approprier un tel morceau, pensé comme un tube pour l'été. Un exercice de style qui, à en croire Naps, serait inscrit dans le patrimoine culturel français, et aurait le mérite de rassembler les foules au-delà des frontières générationnelles et géographiques - quand on cumule plus de 109 millions de vues sur YouTube avec une même chanson, on peut sans doute dire que l'objectif est atteint.

    Au-delà de son rythme, soutenu et taillé pour les clubs, c'est aussi le vocabulaire employé qui fait le succès de La kiffance, un terme que l'on a même pu entendre sur France Inter et qui a incité certains médias à s'y intéresser. Ce n'est pourtant là qu'un énième exemple de la part d'un genre musical (le rap, donc) qui a pris l'habitude de populariser un tas d'expressions contribuant directement au succès de certains morceaux. « Tchoin », « Moulaga », « Jdid », « Djadja », tous ces mots touchent illico la jeunesse et prouvent que leurs auteurs savent parfaitement s'adresser à leur public.

    Sur le fond, ce succès n’a rien de foncièrement étonnant, dans le sens où il y a toujours eu cette tradition dans les tubes de l'été. Darla dirlalada, Zoubida, Yakalelo ou même, dans tout autre registre, Le Mia : tous ces titres ont marqué les esprits grâce à de nouvelles expressions, devenues populaires, pour le meilleur et souvent pour le pire. Qu'importe, alors, si sur la forme La Kiffance n’est pas audacieux, pointu, avant-gardiste ou exigeant musicalement, il a le mérite d'être attachant et authentique : dans un monde gouverné par l’image et les plans marketing, cette spontanéité s'avère salvatrice.