En écoute : la BO de La nuit venue signée Rone

Un DJ chauffeur Uber, la mafia chinoise et Camélia Jordana... Kamouloux ? Raté. Il s’agit là du premier film de Frédéric Farrucci, disponible sur CANAL+, et qui met en scène le Paris clandestin à travers le pare-brise d’un chauffeur immigré. Si ce premier film, particulièrement réussi, a attiré notre regard (et nos oreilles) ce n’est pas sans raison : la B.O a été composée par un certain Rone et a été récompensée d’un César. En voiture.
  • « Tu sais que t’es le seul chauffeur dans tout Paris à passer cette musique. » La Nuit venue pourrait s’ouvrir sur ce seul dialogue. Camélia Jordana à l’arrière, rouge à lèvres et paupières fardées, Jin (Guang Huo) à l’avant, fixe les rues parisiennes, mutique, éclairé par les néons de la ville Lumière. La musique en question ? Un morceau de Rone (Parade), qui sera le trait d’union entre ces deux marginaux.

    Romance ubérisée

    Malgré ses faux airs de cadre, avec son costard ceintré et sa berline noir métallisé, Jin est immigré clandestin. Il travaille la nuit, en tant que chauffeur VTC, et dort le jour pour rembourser la dette qu’il doit à la mafia chinoise. Cet ancien DJ ne rêve que d’une chose, s’émanciper pour vivre de sa musique. Après 5 années de courses nocturnes passées à nettoyer le vomi des it girls parisiennes, les portes de la liberté (et du clubbing) s’ouvrent enfin à lui, mais son altruisme aura raison de ses projets. Fort heureusement, sa rencontre avec Noémie (Camélia Jordana, en call-girl envoûtante), autre visage du Paris des laissés pour compte, va faire naître en lui un amour interdit, capable de les projeter au sommet. Au risque de chuter très violemment.

    Paris by night

    Si le combo chauffeur VTC et call-girl sur fond de mafia chinoise a de quoi faire sourire sur le papier, c’est assurément l’ambiance que nous retiendrons. Ces traversées nocturnes sur fond de nappes électro, l’espace confiné du taxi, les logements étroits de la banlieue et le paysage urbain qui défile au premier plan, avec cette sensation d’y être.

    On a tous été le client de Jin : au retard d’une fête ou d’une journée de boulot un peu trop longue, à contempler le bal des noctambules, confortablement installés sur la banquette arrière. Sauf qu’ici, le point de vue change de camp. Farrucci nous place, à l’avant, dans le rôle du chauffeur, en témoin du paradoxe urbain contemporain : les fêtards éméchés de Strasbourg Saint Denis qui laissent place aux campements de fortune des migrants, quelques mètres plus loin. Des zones de lumière aux zones d’obscurité, avec les mélodies atmosphériques de Rone qui crachotent dans l’auto-radio. L’ombre d’un certain Travis Bickle n’est jamais très loin. Mais là où Taxi Driver mettait en scène la trajectoire d’un homme rendu paranoïaque par la supposée déchéance d’une ville, Farrucci, ici, cherche davantage à dresser le portrait d’une époque et d’un système. Celui d’un individualisme forcené, qui contamine même les plus démunis.

    Pas vraiment le Paris qu’on a l’habitude de voir sur grand écran. Non, plutôt le Paris des invisibles qui, filmé en pleine nuit à la lumière des lampadaires, renouvèle l’imaginaire de la ville Lumière longtemps cantonnée à son image carte postale.   

    Dans ce tableau plutôt noir la musique joue un rôle clé. Bien plus qu’un artifice à ambiance, elle accompagne et électrise ces longs plans nocturnes jusqu’à réunir physiquement les deux personnages dans une scène filmée en pleine tournée de Rone. On y aperçoit d’ailleurs le musicien breton tripoter ses potards, mélangeant un peu plus le réel à la fiction. Et si on aurait aimé entendre davantage de morceaux inédits, on n’a pu bouder notre plaisir quand ce dernier s’est vu remettre le César de la meilleure musique originale, succédant à Dan Levy pour J’ai perdu mon corps.

    Un aboutissement somme toute logique pour celui qui a étudié le cinéma avant de basculer dans la musique. Il confiait d’ailleurs à Télérama : « Je ne sais pas lire ni écrire la musique. En revanche mes cours d’écriture de scénario […] me servent encore. Au moment de composer un disque, j’écris sur des feuilles un genre de synopsis de ma musique avec les moments de tension, de relâchement, de suspens… » Et il n’en est pas à son premier coup d’essai. En 2014, il compose la BO de La Bête, un court-métrage de Vladimir Mavounia-Kouka, nommé pour le César du meilleur court-métrage d’animation, a également travaillé sur l’adaptation cinématographique du best-seller SF d’Alain Damasio, La Zone du Dehors - qui n’a malheureusement jamais vu le jour - et vient de finaliser la musique du prochain film de… Jacques Audiard, sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes. Quelque chose nous dit qu’Erwan Castex n'a pas fini de fleurter avec le 7ème art.

    En attendant, vous pouvez retrouver ses principaux thèmes dans Rone & Friends, album collaboratif, sorti chez InFiné, dans lequel on peut croiser les voix de Dominique A, Yael Naïm ou encore la chanteuse pop anglaise Georgia.

    Le film, La Nuit venue, est disponible sur myCANAL et CANAL+ et sa BO juste en dessous.

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