2022 M02 7
Au fil des années, on a eu comme l’impression que le son d’Animal Collective était devenu une tradition que les membres du groupe protégeaient, ce qui est cool mais tout à fait contradictoire avec l’éclatement des formes qu’ils prônaient au début des années 2000. Car, si l'on veut bien sauver « Centipede HZ », mal aimé malgré ses mélodies ludiques et son délire science-fictionnel, il faut bien admettre que les Américains ont eu bien du mal à traverser les années 2010. Le son était moins pop, plus bordélique, et de fait presque illisible - voire indigeste.
Après tout, c’est sans doute ce trop-plein d’expérimentations qui, ces dix dernières années, a tenu à l’écart Animal Collective des grands papiers élogieux dans les médias. De « Here Comes the Indian » (renommé « Ark » afin d'éviter toute forme d'appropriation culturelle) à « Merriweather Post Pavilion », on les aimait parce que leurs albums contenaient en quelques minutes nettement plus d’idées que l’on ne pourrait en trouver dans la discographie de dizaines de groupes. On les aimait parce que le melting-pop proposé donnait l’impression de se faire projeter dans un autre univers, psychédélique, surréaliste et rêveur, un monde à la croisée de l’électronique et de la folk où les comptines pour enfants seraient composées sous LSD. On les aimait, enfin, parce que leurs singles étaient si étranges qu’on penser pouvoir accepter et encaisser tous leurs excès. Ce qui, on l’a compris, n’a finalement pas était le cas.
Ce n’est même pas que la musique d’Animal Collective soit devenue mauvaise, c’est juste qu’elle ne suscitait plus vraiment d’intérêt. Un peu comme ces groupes qui, présents depuis longtemps, peut-être trop rattachés à une époque (le Brooklyn de la fin des années 2000), n’excitent plus les foules, perpétuellement avides de nouveauté. Animal Collective, en gros, semblait être devenu ce groupe de vieux potes dont on prend les nouvelles une fois an tout en constatant que le temps a fini par transformer leur coolitude en désuétude, leur folie en fourre-tout conceptuel.
Après s'être rebellés contre leur propre passé, au point de boycotter certains de leurs plus gros tubes, les cerveaux fous d'Animal Collective ont donc décidé d'offrir un prolongement aux idées développées sur « Strawberry Jam » (2007) et « Merriweather Post Pavilion » (2009), Panda Bear confessant lui-même s’être détaché des patterns pour connecter sa batterie au feeling, privilégiant une recherche du swing qui fait beaucoup de bien aux neuf morceaux de « Time Skiffs ».
On retrouve ainsi ces harmonies collectives, le même savoir-faire pop, le même goût de l'extase, tout en s'autorisant des propositions, sinon inédites, du moins rafraichissantes : des orchestrations qui s'étirent sur sept minutes (Cherokee), des balades élégantes attirées par le minimalisme (Royal And Desire), des polyphonies et des déluges synthétiques avec de vrais bouts de Brian Wilson dedans (Strung With Everything) et des mélodies qui tourbillonnent et s'entendent comme si un groupe de jazz avait découvert « Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band » en pleine jam session (Prester John).
« How are we doing now ? », s'interroge le quatuor sur Car Keys, visiblement peu hostile à questionner les anxiétés de l'époque. Reste que si « Time Skiffs » a été peaufiné pendant les différents confinements, au cours de deux années remplies de doutes, c’est bien une question intime qui semble être posée ici. À nous de s’assurer que Panda Bear, Avey Tare, Geologist et Deakin en aient conscience : ils vont très bien et tiennent là un excellent disque, du genre que l’on réécoute souvent, avec la certitude d’y trouver à chaque fois de nouvelles émotions.