Il y a 25 ans, The Verve tuait la Britpop avec l'incroyable "Urban Hymns"

Le groupe britannique, qui a été dépassé par le succès de ce troisième album, a touché la grâce avant de sombrer. Mais « Urban Hymns » restera un disque magique, et sûrement le meilleur de cette période où le Royaume-Uni était encore sur le toit du rock.
  • Bien avant la sortie de « Urban Hymns » le 29 septembre 1997, il y avait des signes, éparpillés, que ce groupe allait devenir grand. Peu importe la durée. Et peu importe la chute et l'atterrisage. Par exemple quand Oasis sort « (What’s the Story) Morning Glory? » en 1995, une chanson, Cast No Shadow, est dédiée au génie de Richard Ashcroft, le leader de The Verve. Une manière de le remercier de les avoir embarqués avec eux en tournée quand les frères Gallagher n’étaient que deux lads de Manchester comme des milliers d’autres. Mais aussi pour mettre l'accent sur le talent immense de ce garçon issu de Wigan (une ville coincée entre Liverpool et Manchester) qui avait la gueule, les épaules et le charisme pour devenir une rockstar. Ce talent s’est réellement matérialisé quand The Verve sort son troisième album. Le point culminant de sa carrière.

    Mais c'est aussi le moment où Richard Ashcroft, Nick McCabe, Simon Jones, Peter Salisbury et Simon Tong sont dépassés par l’ampleur du succès — 250 000 ventes dès la première semaine, des concerts sold out, une presse dithyrambique, un statut de « meilleur groupe du monde » difficile à assumer, etc. Et il y a des raisons qui expliquent pourquoi le groupe de Wigan n’a pas réussi à gérer la pression et l’après « Urban Hymns », son seul véritable triomphe.

    Mais rembobinons juste après la sortie du second album « A Northern Soul » en 1995. Le 6 août, juste après un concert au festival T in the Park en Écosse, Richard décide de quitter le groupe. Ses relations avec le guitariste Nick McCabe sont trop tendues. Pour expliquer, Ashcroft dira simplement que ce groupe ne lui convenait plus. « It no longer felt right ». Dommage : la formation est extrêmement prometteuse. Richard, qui est le principal songwriter du groupe, continue de noircir des pages. Il a des chansons. Des bonnes chansons. Mais il ne sent pas d’y aller seul sans son groupe. « Tout seul, je pourrai continuer à enregistrer. Après tout, c’est moi qui compose la plupart des chansons. Mais elles ne prendraient jamais cette ampleur », expliquait l’Anglais aux Inrocks. Finalement, The Verve ne splitte pas. C’est Nick McCabe qui est écarté. Son remplaçant ? Simon Tong. Mais au bout de 18 mois de stagnation où The Verve semble se diriger tout droit dans un mur, Nick est rappelé. Ils font la paix. Et cette période pourrie, jalonnée d’incertitudes, donnera un second souffle au groupe. 

    Car entre temps, ils ont grandi, ils ont réfléchi, ils ont cogité. Et ces moments de doute seront un puits dans lequel s’approvisionner pour l’écriture de « Urban Hymns ». La formation s’enferme dans un studio avec le producteur Martin Glover (The Orb, Killing Joke) et malgré la presse tabloïds qui n’hésitent à relater les histoires amoureuses de Richard — il s’est marié en secret avec Kate Radley, la copine de Jason Pierce du groupe Spiritualized —, « Urban Hymns » est mis en boîte. 

    Le 11 juin 1997, trois gros mois avant la sortie de l’album, The Verve sort le premier single : Bitter Sweet Symphony. Un titre majestueux de six minutes sur des questions existentielles avec un clip gravé dans les mémoires qui passe en boucle sur MTV. Un tube. Peut-être le tube des années 90, avec Smells Like Teen Spirit et Wonderwall. Bitter Sweet Symphony est LE morceau connu de The Verve. Le plus joué à la radio, le plus populaire, blablabla. Il est aussi celui qui sera entaché d’une bataille juridique à cause d’un sample. La boucle de violon vient d’une chanson des Stones, The Last Time, orchestré par Andrew Loog Oldham sur l’album « The Rolling Stones Songbook ». Ashcroft est accusé de plagiat et doit céder l’intégralité des droits d’auteur — en 2019 Richard finira par enfin obtenir les droits d’auteur perçus par Mick Jagger et Keith Richards sur ce morceau. 

    Mais Bitter Sweet Symphony n’est pas la seule chanson qui a fait le succès de ce disque. Sur « Urban Hymns », The Verve a lâché le space rock et les expérimentations psychédéliques pour un rock plus « pop » où les ballades sont assumées et où l’efficacité est un mot d’ordre (enfin, sauf sur Neon Wilderness et Catching The Butterfly). Drugs Don’t Work a atteint la première place des charts au Royaume-Uni. Lucky Man est devenu un standard pour les guitaristes qui débutent. Sonnet déchire les cœurs. Et même certaines face B, comme Lord I Guess I'll Never Know, Country Song, Three Steps ou Never Wanna See You Cry sont au niveau. 

    En novembre de la même année, le groupe part pour une tournée américaine. Dix concerts dans dix villes, de New York à San Francisco. Les salles sont bondées, les fans font des bornes pour venir les voir. « Ce ne sont pas les salles qui sont trop petites, c’est le groupe qui est trop gros » dira Ashcroft dans un documentaire sur cette tournée. The Verve est là, tout en haut. Les USA sont pour Richard une terre d’inspiration, plus que son Angleterre natale.

    Lancé sur l’autoroute du succès, The Verve va cependant perdre le contrôle. La bataille judiciaire atour de Bitter Sweet Symphony rend dingue Richard, qui finit en dépression. En 1999, The Verve se sépare une nouvelle fois. « Vous avez plus de chances de revoir les Beatles sur scène que The Verve », avait alors déclaré le leader. Si le groupe se reformera plus tard en 2007 et sortira un nouvel album, « Urban Hymns » restera à jamais le chef d’œuvre de The Verve. Mais aussi l’album qui enterra le groupe et la Britpop par la même occasion. « Ce groupe sait d’où il vient. On sait aussi que The Verve est un véhicule pour quelque chose de plus grand que nous », avait concédé Richard au magazine Spin en 1998. Comme si déjà, The Verve ne leur appartenait plus, et qu'il était trop tard pour faire machine arrière.

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