2022 M10 17
Il est encore un peu tôt pour savoir si "c’est le feu", mais il s’agit clairement d’un petit événement dans le milieu très policé des cérémonies qui attribuent chaque année des récompenses aux artistes. Lassé d’être snobé par les Victoires de la musiques et autres NRJ Music Awards, le rap français a en effet décidé d’organiser sa propre cérémonie à partir de l’année prochaine.
La première édition aura donc lieu le 11 mai 2023 dans un lieu hautement symbolique pour ce type d’événement, puisque "Les Flammes" seront remises au Théâtre du Châtelet à Paris, écrin historique des César et plus récemment du Ballon d’Or, entre autres.
C’est là que la cérémonie a été présentée à la presse la semaine dernière par ses trois têtes pensantes qui travaillent sur le projet depuis trois ans : un site d’actualité rap très populaire (Booska-P), un média qui est aussi une agence de communication (Yard), et une agence qui réalise du "marketing d’influence" grâce à des noms qui pèsent lourd sur les réseaux sociaux (Smile Conseil).
Et s’ils affirment publiquement ne pas avoir imaginé Les Flammes "en opposition à quelque chose", la cérémonie se démarque d’ores et déjà par son système de vote, présenté comme très transparent, et qui se découpera en trois phases.
La première est celle de la soumission des artistes, et elle sera réservée aux professionnels comme les labels, producteurs et managers, qui inscriront des candidats dans la vingtaine de catégories qui donneront lieu à des prix. Ensuite, une cinquantaine de journalistes issus de médias spécialisés et généralistes disposeront de 72h pour sélectionner au sein de la présélection reçue les 10 artistes nommé-e-s dans chaque catégorie.
Enfin, la partie finale du vote qui déterminera les gagnant-e-s sera divisée équitablement entre le public, appelé à voter en ligne pour son top 3 dans chaque catégorie, et un jury paritaire de 24 membres, représentatif de la diversité des métiers de l’industrie du rap. Afin d’éviter toute concertation, leur identité ne sera révélée qu’après le vote. Et par souci de renouvellement des points de vue, la composition de ce jury changera chaque année.
On ne sait pas encore quelles personnalités animeront la soirée, mais on peut en revanche déjà dire que la cérémonie sera diffusée gratuitement sur le web et pas à la télévision (pour l’instant).
Une démarche là aussi très dans l’air du temps, qui correspond au public visé et qui semble aussi assumer une certaine forme d’indépendance vis-à-vis de grands médias généralement en délicatesse avec le rap, pour employer une litote.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les organisateurs parlent de "cérémonie des culture populaires" :
« Parce qu’on y célèbre les cultures issues des quartiers populaires et la créativité de celles et ceux qui les font grandir. Parce que ces cultures sont aujourd’hui parmi les plus populaires de la francophonie : minimisées hier, elles transparaissent aujourd’hui dans le langage, les codes et références de générations qui s’en réclament et intègrent le grand public. Parce que dans un pays aussi divers, la nation de « culture populaire » ne peut plus être unique : elle doit être plurielle. »
Une manière peut-être d’envoyer quelques tacles en scred aux Victoires de la musique, adeptes pendant longtemps de la catégorie malaisante de "musiques urbaines", et encore sur la sellette cette année pour avoir ignoré le mastodonte Ninho – qui s’en est indigné dans une interview au Parisien – tandis que le malheureux SCH avait rendu hommage à ses collègues absents en montant sur scène pour récupérer la Victoire de l'album masculin le plus streamé – hasard ou coïncidence, Aya Nakamura n’a pas fait le déplacement dans la catégorie féminine, seul prix déterminé par les chiffres et pas par le jury.
« Je voudrais saluer Gazo, Oboy, Naps, Laylow pour ses 2 Bercy remplis en même pas 24 heures, Jul qui a réuni les 2 capitales du rap français, Dinos, Soso Maness et aussi Ninho, l'homme aux certifications évidemment. (…) Je suis un peu gêné de tenir cette Victoire sans les voir ici assis en face de moi, ces grands messieurs qui auraient mérité tout autant que les artistes ici présents de célébrer leur Victoire de la musique ! »
Que Les Flammes mettent le feu ou pas aux cérémonies anciennement installées, ces dernières devraient quoi qu’il en soit s’alarmer de voir que le courant musical qui écrase les charts des sites de streaming fasse sécession de la sorte après avoir attendu en vain pendant des années et des années pour obtenir un semblant de représentativité.