Un tourneur français nous explique son enfer depuis l'interdiction des concerts

Depuis 23 ans au sein de la structure Wart, Joran Le Corre orchestre des tournées et programme des groupes comme Acid Arab, Salut C'est Cool ou Jeanne Added. Il est également le directeur artistique du festival Panoramas à Morlaix, qui a annulé l’édition de cette année à cause du Covid-19. "Jack" fait le point avec lui pour savoir à quoi ressemble son quotidien depuis quelques jours. Et comment il gère la situation actuelle.

Première question : comment ça va ?

On a connu mieux. Comme je suis tourneur, aujourd'hui, je m'occupe d'annuler toutes les dates prévues. Par exemple Shannon Wright qui devait venir des États-Unis, Salut C'est Cool, une tournée mondiale d'Acid Arab, la création de Jeanne Added autour de Prince pour le Printemps de Bourges... Tous nos artistes sont impactés donc il va falloir se serrer les coudes, c'est important. 

Comment vous gérez la situation depuis les premières interdictions de rassemblement ?

Dans un premier temps, on essaie de reporter un maximum de concerts. Mais ça risque d’être difficile de décaler deux mois d'événements prévus au printemps à l’automne. J'ai bien peur qu'on finisse par se retrouver avec des concerts tous les jours dans toutes les salles de Paris, ce qui est inimaginable. On a prévenu les groupes, qui sont tous conciliants, et on essaie de travailler sur un report, mais on ne peut pas tout reprogrammer, c'est impossible. Par exemple les jeunes groupes qui doivent sortir un premier album ou qui avaient prévu une tournée à l’autonome, ils vont être noyés dans une masse de concerts décalés. Je me demande vraiment ce que ça va donner.

Et pour le festival Panoramas que vous avez dû annuler ? 

Avec notre association Wart, on gère depuis 23 ans l'organisation du Panoramas. Il se déroule en avril et il « ouvre » en quelque sorte la saison des festivals en France. On a été l'un des tout premiers à annoncer l'annulation, le 6 mars. On a vu le premier arrêté concernant les événements de plus de 5000 personnes et comme l'événement regroupe entre 11 000 et 13 000 personnes, on n’a pas eu le choix. 

Suite à l'annulation, on a essayé de sauver un semblant de festival en rapatriant les concerts dans une salle de moins de 1000 personnes, tout en demandant aux artistes de faire des gros efforts - ce qu'ils ont tous fait, ils ont joué le jeu. Mais depuis, les interdictions sont passées à moins de 100 personnes... Sinon, dans l'équipe de Wart, on est en train de voir qui va se mettre au chômage partiel, qui peut se mettre en arrêt : on se restructure en vue des prochaines semaines qui vont être très dures à passer. 

Vous pouvez déjà anticiper les répercussions économiques liées au virus ?

On a déjà perdu 2/5eme de notre activité, et on va arriver à plus de la moitié, ce qui est colossal. Pour le festival Panoramas, on a mis en ligne une page solidarité pour recueillir des dons. C'est une initiative qui vient de Hongrie où, après les annulations de festivals, les gens ont décidé de ne pas se faire rembourser leurs billets. Nous, on ne l'a pas organisé de cette manière puisqu'il faut qu'on attende d'avoir des fonds pour rembourser les festivaliers. Mais on essaie de voir ce qu'il est possible de mettre en place pour que les gens puissent faire un geste s'ils le souhaitent.

Vous restez dans le flou, et c’est peut-être ça le plus dur à gérer ?

En gros, on annule tout jusqu'à nouvel ordre, ce qui est peu anxiogène. On ne peut pas savoir quand se terminera cette épidémie et c'est peut-être ça le pire, de rester dans l’incertitude.

Je vois que le festival de Cannes risque d'être annulé, le film James Bond ne sortira que cet automne, les tournages vont être annulés aussi. C'est le même problème pour la musique : comment on va s'organiser ? On ne sait pas si, en mai, les festivals auront lieu ou s'il faudra attendre la fin de l'été. On est dans l'inconnu le plus total. Personne n'a les réponses puisque c'est une situation inédite. Et on ne mesure pas encore les conséquences. Il va sûrement y avoir des aides pour le secteur culturel, sinon il s'effondrera. Mais c'est peut-être aussi l'occasion de repenser notre système.

Crédit photo une : © Ben Pi.