Un label réédite l'album culte d'un artiste mort mais oups, il est encore vivant

On voudrait tous que la réalité soit plus que ce qu’elle est vraiment. Face à une œuvre unique, on se plait à imaginer un artiste maudit, un parcours absolument unique. Et c’est le départ de rumeurs et autres légendes urbaines. Ce sont elles qui ont induit le label Far Out Recordings en erreur. En 2016, son fondateur Joe Davis publie une réédition de l’album « Obnoxius » du guitariste José Mauro. Album fascinant, aux arrangements riches entre bossa nova et folk psychédélique, il circule depuis des décennies dans les réseaux de diggers. Davis l’avait déjà publié en vinyle en 1995, le faisant connaître auprès de Floating Points, Gilles Peterson ou encore Madlib, qui l’a samplé en 2010.

Et pour tous, l’histoire ne fait aucun doute : Mauro est mort peu de temps après l’enregistrement de cet unique chef d’oeuvre. Comment expliquer autrement sa soudaine disparition de la circulation ? Ses seuls enregistrements datent de l’année 1970, et tous ceux qui y ont participé ignorent où il se trouve. Pour certains, il est mort d’un accident de voiture, ou bien de moto. Pour d’autres, la dictature militaire de l’époque l’a fait emprisonner et tuer. Mais en réalité, personne ne sait rien. « Il n’y avait aucune raison de croire qu’il était vivant » se justifie Davis.

Cependant, une personne reste persuadée que Mauro est bien vivant : Ana Maria Bahiana, co-autrice de tous les titres de Mauro. Voyant la réédition de Far Out, cette journaliste contacte Joe Davis pour lui signaler son erreur. Dès lors, ce dernier n’a de cesse de retrouver le guitariste. Une longue aventure, qui prend fin lorsqu’enfin, un musicien lui indique où le trouver. Âgé de 72 ans, il profite désormais de sa retraite dans les environs de Rio de Janeiro, ville qu’il n’a en fait jamais quitté. Désormais, Far Out peut corriger son erreur, à l’occasion d’une autre réédition : celle du second disque de Mauro, « Viagem Des Horas », paru six ans après « Obnoxius », mais enregistré en même temps. Annoncée le 26 mars dernier, cette réédition est sortie le 28 mai.

Avec l’aide de Bahiana, Davis peut désormais raconter la véritable histoire de José Mauro. Celui-ci apprend la musique dès son plus jeune âge, notamment auprès de Baden Powell. Jeune étudiant, passionné de musique brésilienne mais aussi de folk américaine, il se met rapidement à la composition. Les idées lui viennent spontanément, en observant la nature. Loin de toute politique, il juge sa musique « expressionniste ». Il rencontre alors Bahiana, qui devient sa parolière et choriste. Ensemble, ils écrivent, dit-il, une centaine de chansons. Qui, miracle, échappent toutes à la censure des militaires au pouvoir.

C’est à ce moment qu’il rencontre Roberto Quartin, producteur réputé à l’époque. Ensemble, ils enregistrent les deux albums aujourd’hui réédités. Mais les choses ne se passent pas comme prévu, et Quartin, en difficulté financière, lâche l’affaire. C’est pour cela que le second disque de Mauro reste bloqué durant six ans. Une durée interminable pour l’artiste, dégoûté par le milieu. Perdant sa flamme créatrice, il décide de prendre une retraite prématurée, et rejoint le théâtre Tablado de Rio, où il devient directeur musical. En parallèle, il donne de nombreux cours de guitare. Malheureusement, il ne peut désormais plus en jouer, la faute à une maladie de Parkinson.

Malgré tout, Mauro ne montre aucun regret. Encore très fier de sa création, il est tout simplement heureux de sa reconnaissance grandissante. En plus de ses très beaux disques, il peut se vanter d’être à l’origine d’une des plus folles histoires de ces dernières années.