Franco Battiato, légende de la musique italienne, est mort à 76 ans

Il a été le premier à atteindre le million de disques vendus dans son pays, à jouer devant le Pape Jean Paul II en 1989 et à faire évoluer la musique en piochant dans des styles très divers, de la pop au rock progressif en passant par les musiques expérimentales et minimalistes.
  • Fabrizio de André, Banco del Mutuo Soccoro, Goblin, Krisma, Giorgio Moroder… L’Italie a elle aussi ses figures. Ses artistes de classe que l’on chérie et qu'on écoute en se remémorant une autre époque, un autre temps. Dans cette courte liste ci-dessus manque un nom, celui de Franco Battiato. Un artiste avec un grand A, aussi bien musicien, cinéaste, écrivain et peintre. Un homme touche-à-tout qui a traversé les âges avec l’envie, toujours, de se réinventer, et d’aller là où il n’avait pas encore mis les pieds.

    On rembobine. Franco est né en 1945 en Sicile, juste après la guerre. À Milan dans les années 60, le jeune garçon est répété par le chanteur populaire Giorgio Gaber. Il sort un premier 45 tours dans… une revue de mots croisés. Au début, puisque c’est aussi à la mode, il écrit des chansons militantes et protestataires et s’essaie au tube de l’été. Mais il glisse vers le rock progressif, acquérant un synthétiseur VCS 3 (comme celui des Pink Floyd) en 1969 avant même sa commercialisation et troquant Bob Dylan pour Brian Eno ou Magma. Il s’intéresse aussi à ce qui se passe en Allemagne où des étudiants en école d’art et des hippies se mettent à tâter des instruments et des machines (Can, Kraftwerk, Cluster, etc.). Durant une décennie, les années 70, l’Italien publie albums sur albums, s’inspirant de concepts empruntés aux musiques concrètes et minimales (Pierre Schaeffer, Karlheinz Stockhausen, Terry Riley, etc.). Son album « Clic » sorti en 74 est l’un des exemples de cette quête. En 1975, il assure les premières parties des ex-Velvet Underground Nico et John Cale. 

    Il pousse l’exploration encore plus loin avec l’album instrumental « L'Egitto prima delle sabbie » en 78. Le titre est inspiré d'une histoire de Georges Ivanovič Gurdjieff, un maître spirituel arménien, et se focalise sur la répétition d’une note et ses variations. Mais cette musique, si elle plaît à une poignée de fans à travers le monde, est loin d’être accessible ni populaire. Franco a besoin de renfloué les caisses, et fait dériver sa musique vers la pop. « J’avais besoin d’argent pour payer mon loyer, mes appareils… J’ai décidé d’écrire des hits, sans me trahir », expliquait-il au journal Le Monde. Il y va progressivement, en sortant d’abord « Era del Cinghiale Bianco » puis « La Voce del Padrone » en 1981, un disque de variété qui prend tout le monde par surprise. C’est léger, ça s’écoute sans plier les yeux et surtout, ça se vend bien : plus d’un million d’exemplaires écoulés, une première en Italie pour un artiste du pays.

    Sur une décennie (les eighties), l’Italien est en lévitation : il réussit tout ce qu’il fait, et ses albums rencontrent des succès, aussi bien d’estime que commerciaux. Dix années marquées par un passage à l’Eurovision en 1984 aux côtés de la chanteuse Alice (ils finissent 5e) et par un concert devant le Pape Jean-Paul II en 1989, où on lui a bien fait comprendre que ce n’était pas lui la star de la soirée. 

    La suite ? Un concert au théâtre national de Bagdad le 4 décembre 1992 avec l’Orchestre symphonique national irakien, des musique pour des ballets, des opéras symphoniques et des collaborations avec d’autres grands noms de la musique italienne, comme le violoniste Giusto Pio ou Alberto Radius… Franco ne s’arrête pas et poursuit ses explorations musicales.

    En 1996, ce végétarien qui croit en la réincarnation et se soucie peu de l’argent reçoit le prix de « la chanson de l’année » pour La Cura. Pour l’un de ses derniers disques en 2012, « Apriti Sesamo », il fait par exemple appel à Simon Tong, connu pour avoir joué avec The Verve et Gorillaz. On est à des kilomètres des musiques minimalistes des seventies, mais tout cela raconte bien le personnage, toujours prêt à aller là où personne ne l'attend. De retour en Sicile, Franco avait pris sa retraite en 2019 et est décédé le 18 mai 2021, à 76 ans, d'une longue maladie. Laissant derrière lui une discographie pointue qui fait de lui l'une des plus belles bottes secrètes d'Italie.