2022 M12 22
La première fois que l’on entend ta musique dans un jeu, c’est en 2007, sur Need For Speed : ProStreet. C’était un rêve ?
Pas du tout… Bizarrement, un certain nombre de mes musiques ont été choisies pour illustrer des jeux vidéo de voiture, ce qui est assez étrange quand on sait que je viens juste d’avoir le permis et que je ne suis pas du tout intéressé par les bagnoles. En 2014, il y a également eu Watch Dogs, qui a utilisé Run Hide, mais j’ai dû attendre un bon moment avant que l’on me propose de composer une bande originale.
À ce propos, comment est née cette collaboration avec pour Furi en 2016 ?
Ce sont les développeurs qui m’ont appelé. Ils étaient intéressés par mon travail et voulaient m’associer à d’autres artistes français, comme Birdy Nam Nam et Vitalic. Finalement, ce sont Carpenter Brut et Danger qui ont été choisis. L’avantage, c’est qu’ils m’ont tout de suite autorisé à faire ce que je savais faire. La seule différence, finalement, c’est que je bossais désormais sur de la musique à l’image, et que j’avais la chance de pouvoir m’appuyer sur un support visuel, ce qui est toujours très cool.
Concrètement, comment as-tu procéder pour composer Make This Right et My Only Chance, les deux titres présents sur cette BO ? Tu avais des références en tête ?
Il faut savoir que je ne suis pas un grand fan des bandes-son de jeux vidéo à la base. En tout cas, ce n’est pas dans cet univers que je puise au moment de composer de la musique à l’image. Je suis nettement plus influencé par les musiques de film, même si l’idée est toute autre dans le jeu vidéo : ici, il faut coller à l’expérience du joueur, comprendre que ce dernier doit aller d’un point A à un point B, d’une situation d’errance à une situation de combat. Il faut donc construire une musique évolutive, qui puisse monter en intensité tout en étant capable de s’adapter aux choix des joueurs. En gros, c’est important d’avoir en tête le fait que celui qui a la manette peut décider de ne pas aller se battre, et donc de revenir en arrière. D’où la nécessité de penser des musiques, voire même des moods, qui puissent s’enchevêtrer afin de gagner ou perdre en intensité.
As-tu la sensation que cette contrainte te permet de t’épanouir sur le plan créatif ?
Disons que c’est une façon de composer qui se rapproche du processus de création inhérent à la techno. C’est un langage que je comprends, mais que je dois aborder différemment. Et c'est précisément ce qui est excitant, ne serait-ce que pour sortir de ma zone de confort.
Est-ce à dire que la musique de jeu vidéo ne répond à aucun code, aucune exigence ?
Il y a tellement de jeux différents qu’il est impossible de répondre à des règles précises. Moi-même, je change constamment de processus. Parfois, je peux me baser sur l’ensemble du jeu, d’autres fois sur des images ou simplement quelques extraits. C’est très variable. La seule règle, finalement, c’est de penser les morceaux en fonction des mouvements du joueur, de développer une longue mélodie de 10 ou 15 minutes dans laquelle je sais que des éléments et des atmosphères vont pouvoir s’enchevêtrer.
« Road 96, c’est de la musique d’illustration qui a nécessité de longues discussions avec le développeur. »
Tu as aussi bossé sur Road 96 et Breach. Le processus était-il similaire à celui de Furi ?
Ce sont deux exemples très différents. Pour Breach, j’ai été missionné afin de composer la musique inspirée du jeu, je n’avais donc aucune contrainte, le champ des possibles était immense. Quant à Road 96, le jeu étant très narratif, il fallait surtout créer des morceaux qui servent de liens entre les scènes, des pistes que l’on ne peut pas couper parce qu’elles accompagnent des moments clés du jeu. C’est de la musique d’illustration, en quelque sorte, qui a nécessité une plus grande implication dans le processus de création, ainsi que de longues discussions avec le développeur. Souvent, dans ce milieu, on doit travailler vite, en trois ou quatre mois, ce qui me convient parfaitement, mais c’est quand même jouissif d’être impliqué dès le départ, d’amener sa vision, de faire en sorte que la musique aide le jeu à trouver son style.
La musique de Road 96 contient un certain nombre de nappes ambient. C’est un genre que tu écoutes beaucoup ?
Il faut savoir que c’est du jeu vidéo que me vient cette passion pour l’ambient, notamment grâce aux jeux Another World et Flashback, dont les BO sont très minimalistes. Il y aussi American McGee's Alice, un jeu pensé autour d’Alice au pays des merveilles et dont la BO a été imaginée par Chris Vrenna, batteur de Nine Inch Nails et Marylin Manson. Quand j’y pense, la dernière bande-originale que je me suis vraiment prise, celle de Returnal, est elle aussi très douce, très délicate. À croire que j’aime les bandes-son qui prennent leur temps.
Sur Twitch, on te voit régulièrement dans ton studio, entouré d’un paquet de synthé. C’est ainsi que tu crées tes musiques pour les jeux ?
C’est sûr que je vais finir par me faire bouffer par les synthés… Le truc, c’est que j’aime commencer sur une page blanche, composer sur Ableton à partir de plusieurs synthés virtuels. Une fois que j’ai une idée plus précise de ce que je veux créer, j’utilise de vrais synthés et je peaufine le morceau. Tout simplement parce que j’ai l’impression que la main apporte des défauts que l’ordinateur ne peut offrir. Ça amène de la rondeur, un grain, une texture particulière.
« Furi a rajeuni mon public à une époque où je commençais à me demander si je n’allais pas me lancer dans la restauration… »
Le fait d’avoir gagné deux récompenses (Prix de la Meilleure Musique de Jeux aux Game Awards pour Furi, Pegases 2022 de la Meilleure Musique de Jeux pour Road 96), ça te permet aujourd’hui d’être davantage sollicité ? Voire même d’imposer des prix plus élevés ?
On ne va pas se mentir : la musique, ça reste encore l’enfant pauvre de l’économie du jeu vidéo. Quand on t’appelle, on te dit que 99,9% du budget a été cramé et que ce serait cool si tu pouvais faire la musique pour 400 balles. Mais bon, Furi m’a finalement amené un tas de nouveaux auditeurs. Je dirais même que le jeu a rajeuni mon public à une époque où je commençais à me demander si je n’allais pas me lancer dans la restauration…
De là à dire que la musique de jeux vidéo a fait basculer ta carrière ?
C’est une certitude ! Ça fait plus de 15 ans que je fais de musique en tant que Toxic Avenger. À la base, j’étais affilié à la scène Myspace, associé à Justice ou Bloody Beetroots, à un son qui a fini par passer de mode. Il a fallu que je me réinvente et le jeu vidéo, très clairement, m’a amené un tout nouveau public. My Only Chance, c’est tout de même 40 millions d’écoutes cumulées, tandis que Furi a été vendu à plus de deux millions d’exemplaires : ce sont des chiffres qu’il me serait impossible d’atteindre. La preuve : j’ai sorti 5 albums et divers EPs ; pourtant, ce sont mes musiques pour les jeux vidéo qui sont récompensées.
Au fond, ça vient prouver que la musique de jeu vidéo est de mieux en mieux considérée ?
De grands artistes comme Bowie et Michael Jackson ont beau avoir composé pour les jeux, ça reste encore une économie faible, qui ne permet pas vraiment l’utilisation de cordes ou de cuivres. Mais on sent que ça évolue. Il y a désormais une catégorie « Musique de jeu vidéo » sur Spotify, ce qui est une forme de reconnaissance, mais aussi une source de revenus supplémentaires, et donc un budget peut-être plus conséquent sur les prochaines BO.
Et puis on sent que le regard change : pendant le confinement, une énorme campagne de pub Hugo Boss devait utiliser My Only Chance comme bande-son. On y voyait le mec de One Direction se jeter dans la foule, ce qui posait problème du fait de la distanciation sociale… Du coup, cette pub n’est jamais passée à l’antenne : c’est con parce que ça aurait fait de My Only Chance la première musique de jeu vidéo à être utilisée hors de son domaine initial. En tout cas, ça vient définitivement prouver que que l'on ne se contente pas de faire de la 8-bits.
« Yes Future », le dernier album de Toxic Avenger, est sorti le 4 novembre dernier. Et c’est une réussite à (ré)écouter ci-dessous.