2019 M11 20
Rocé – Changer le monde
Nous sommes en 2001 et Kourtrajmé (collectif formé, entre autres, par Kim Chapiron, Romain Gavras, Ladj Ly et Toumani Sangaré) définit alors l'esthétique visuelle qui sera la sienne au cours des années 2000 : cette patte fisheye, ce ton décalé et cette façon de coller au plus près de la rue. Avec, toujours, cette part de fantaisie que l'on retrouve onze ans plus tard avec le clip de Bienvenüe de 1995 ; façon de rappeler, en somme, que les gars du collectif restent avant tout des gamins biberonnés aux histoires de Marvel et de DC Comics.
Rockin' Squat – France à fric
En 2006, Rockin' Squat, cet artiste qui rappe « comme un putain de blanc avec une putain d’attitude », débarque en solo avec un morceau coup de poing : France à fric, un titre où il tire à boulet rouge sur des noms bien connus (le groupe Elf, les Mitterand, la BNP, la Société Générale, le Crédit Lyonnais, Charles Pasqua, etc.). Le clip, lui, n'impose ni scénarisation ni propos moralisateur : il montre simplement le rappeur dans un village au Mali, celui du père de Toumani Sangaré, ici à la réalisation.
Le geste est facile ? Pas vraiment : il vient simplement souligner la volonté de Kourtrajmé d'avancer en famille, avec les moyens du bord et selon un mantra que les membres se répètent en boucle à l'époque : « Je jure de ne pas écrire un scénario digne de ce nom. »
Mafia K’1 Fry – Pour ceux
Loin des clips tournés dans les clubs, de ces rappeurs sappés comme jamais et de cette esthétique bling-bling pompée sur le rap américain, Pour ceux propose autre chose : tourné en plein cœur des cités d'Orly, de Vitry et de Choisy, il n'est finalement rien d'autre qu'une plongée intense dans le quotidien des rappeurs de la Mafia K'1 Fry, entourés des leurs. Il y a OGB qui s'occupe d'un kebab, Rohff qui tape des pointes à 250 km/h sur l'autoroute, Rim'k acclamé telle une rockstar ou Demon One lâchant les chiens sur un inconnu.
Filmé à la caméra DV, le clip est brut, violent, et fascine par la sincérité et la simplicité avec laquelle il montre les périphéries parisiennes. Depuis, on ne compte plus le nombre de rappeurs ayant fait chauffer les scooters dans leurs clips. Toujours copié, jamais égalé, en quelque sorte.
Justice – Stress
En 2008, le clip réalisé par Romain Gavras suscite de vives réactions. Clairement, il fait peur à cette France confortablement installée dans son canapé, les pantoufles aux pieds au moment de regarder le journal de 20h. On y suit une dizaine de gars aux regards vénères qui, de la banlieue à ses extérieurs, tabassent, dépouillent et brûlent tout autour d'eux. Violence gratuite ? Coup de pub pour Justice, qui voit à travers le clip de Stress l'occasion de s'éloigner du strass ?
Dans une interview à Noisey, Toumani Sangaré y voit une autre explication : « On n’a jamais cherché le scandale. Pour être tout à fait honnête, je pense que Stress a choqué les gens parce que ça venait d’un groupe électro à la mode. Ça aurait été un clip pour Rohff, personne n’aurait ouvert sa gueule. »
DJ Mehdi – Signatune
« On nous prenait pour des mecs de banlieue, mais Kourtrajmé, ça venait de partout : des pauvres, des riches, des mecs de la musique, des mecs qui bossaient sur les chantiers. » À lire Barthos dans une interview accordée à So Film, on comprend en substance ce qui incite les gars de Kourtrajmé à déplacer le regard et à poser leur caméra en-dehors des quartiers parisiens.
Une ligne directrice facilement applicable lorsqu'on réalise pour Kanye West (No Church In The Wild), Jamie xx (Gosh) ou M.I.A. (Bad Girls), mais nettement moins évidente au moment d'illustrer le Signatune de DJ Mehdi, qui suit le destin d'un jeune homme qui partage son quotidien entre musculation et concours de tuning dans une petite ville industrielle du nord de la France.