2021 M09 1
« Avec Tim, on avait un son tellement différent que les gens avaient des difficultés à le comprendre. Ils appréciaient, mais ils ne savaient pas s’ils aimaient vraiment, c’était tellement différent de tout ce qui passait à la radio. Mais ce qui est étrange, c’est que dès que nous avons fait écouter “One In A Million” à Aaliyah, elle a immédiatement pensé que ça allait être un succès. On n’a pas eu à la convaincre. Elle était plutôt du genre : “Très honnêtement, ce truc est un tube” ».
Lorsque Missy Elliott s'exprime au sujet du premier morceau que Timbaland et elle ont produit pour Aaliyah, en 1996, impossible de ne pas acquiescer : ce ne sont pas des tubes bourrés d’idées biodégradables que présente le trio, mais bien la quintessence d’un nouveau son, d’une fuite en avant. Il y a ces beats jungle que Timbaland ralenti à l’extrême pour en faire une ballade romantique (One In A Million). Il y a If Your Girl Only Knew, dont la beauté des arrangements fait écho au répertoire de Prince. Il y a enfin deux albums (« One In A Million » et « Aaliyah », vendus respectivement à 10 et 13 millions d'exemplaires), tout juste réédités après deux décennies d’absence, qui témoignent de l’influence réelle de l’Américaine au sein du paysage pop et R&B actuel.
La force de ces deux disques, leur puissance de séduction tient probablement dans leur faculté à multiplier les pistes pour l’avenir, cette facilité à mettre en son des chansons finalement hybrides, mais dont les ingrédients se révèlent savamment dosés. À titres d’exemples, citons Hot Like Fire, repris par The XX à la fin des années 2000, Are You That Somebody?, nominé à cinq reprises aux Grammy Awards et considéré par le critique anglais Simon Reynolds comme « l’un des singles les plus significatifs des années 1990 », ou We Need A Resolution, qui défend un mélange que l’on pensait jusque-là impossible entre le R&B, le 2-Step, le hip-hop et la musique de film.
Depuis, ses idées ont fait du chemin. Elles ont même engendré des bouleversements sonores considérables. On en retrouve des bribes dans certains morceaux de Kendrick Lamar (Blow My High), The Weeknd (What You Need), James Blake (I’ll Stay), Lil Wayne (I Don’t Wanna), ou plus nettement encore chez Kehlani et Drake, qui ont respectivement intégré des passages du fameux More Than A Woman dans Too Much et Is There More.
Au croisement des années 1990 et 2000, toutes ces innovations stylistiques étaient encore accueillies avec prudence par la presse spécialisée, voire carrément passées sous silence. Pourtant, les faits sont là : en seulement deux albums, étalés sur cinq ans, Aaliyah, en compagnie de Timbaland et Missy Elliott, ne les oublions pas, ont posé les bases d’un univers fécond, tout en amenant les auditeurs vers un possible futur où chaque mélodie sonne extrêmement riche, hybride et pourtant évidente. Un univers au sein duquel FKA Twigs, Syd de The Internet, Lolo Zouai ou encore la dernière sensation venue d'Angleterre, ENNY, continuent de puiser allégrement aujourd’hui.